Positiver pour une vie réussie

Concentrer sciemment ses pensées sur les moments positifs et se pencher sur les enseignements acquis peut aider à mieux gérer un évènement pesant. Qui s’entraîne au quotidien peut évoluer vers plus de flexibilité, d’ouverture et de résistance dans la vie.

Pouvez-vous d’abord nous expliquer cette notion de « psychologie positive » ?

La science de la psychologie positive étudie comment réussir sa vie. Longtemps, la psychologie s’est concentrée sur ce qui n’allait pas. On a compulsé des connaissances sur les signes de stress psychologique, les mécanismes sous-jacents et les possibilités de les atténuer. À la charnière du siècle, les scientifiques ont commencé à se tourner davantage vers une autre question: comment amener une personne dépressive à un état non dépressif ou lever le poids de son traumatisme après un incident pesant ? En d’autres termes, comment parvenir à un état où une personne estime que la vie lui sourit, qu’elle se sent satisfaite et optimiste? La psychologie positive travaille dans ce sens avec la notion d’épanouissement (flourishing).

Épanouissement ?

Oui, exactement : la science d’une vie réussie. Elle s’interroge sur ce qui rend l’individu confiant, heureux, optimiste et sur les forces qu’il ressent alors. Quel rôle jouent les sentiments positifs, notamment face aux défis de la vie? Comment percevoir intrinsèquement un sens, vivre des relations épanouissantes et satisfaisantes? Les réponses, en fin de compte, composent le terreau qui permet à une fleur de s’épanouir ; et il en va de même pour l’être humain.

Dans l’assistance d’urgence, nous sommes confrontés à des personnes ayant vécu une situation hors norme. Face au traumatisme et à la souffrance, positiver peut leur apparaître comme un immense acte d’équilibrisme…

Dans un premier temps, la situation traumatisante, le revers, le déraillement d’une vie n’ont rien de beau, rien de bon et ne dégage pas non plus de sens profond. C’est un coup du destin. Il faut élargir l’angle de sa perception pour être en mesure d’apprendre à «bien» gérer une telle situation et continuer de bien vivre malgré tout.

C’est-à-dire ?

Lors d’une crise, le champ de perception se rétrécit, un peu comme dans un tunnel. Les impulsions négatives attirent notre attention, ce réflexe est tout à fait pertinent. Mais, par cette concentration sur la menace, tout ce qui est vaguement beau, réjouissant, satisfaisant passe au second plan. En outre, les personnes affectées culpabilisent souvent lorsque, le matin, elles se réjouissent d’entendre chanter les oiseaux alors qu’il est arrivé quelque chose de terrible. Souvent, elles se demandent: est-ce que je suis une mauvaise personne parce que j’éprouve de la joie? Non. La voie de la guérison et de l’évolution passe précisément par ce «non».

Barbara Fredrickson écrit dans son livre « Mieux vivre grâce à la pensée positive » qu’il faut trois moments émotionnels positifs pour en compenser un pesant. Qu’en pensez-vous ?

Il ne s’agit pas de contrebalancer un puissant vécu négatif par un vécu positif aussi puissant. L’enjeu est plutôt de s’aider à surmonter les évènements dramatiques par une pluralité de moments positifs, que l’on appelle aussi des bulles de souvenirs. Imaginez les deux plateaux d’une balance. Dans un, vous placeriez les émotions désagréables : la peur, le deuil, le souci, la colère, le désespoir. L’autre plateau contiendrait les émotions positives : la joie, l’optimisme, la curiosité, l’inspiration, l’étonnement, l’amour. Dans la moyenne, à terme, nous trouverions toujours quelque chose dans le plateau du positif. Barbara Fredrickson parle de la dose journalière d’émotions positives et fait la comparaison avec une alimentation saine : je ne serai pas en meilleure santé si je consomme 3 kg de brocoli d’un coup. En revanche, si je consomme plusieurs portions de légumes par semaine, je renforce mon système immunitaire.

Vous parlez de bulles de souvenirs. À quoi sont-elles associées dans la psychologie positive ?

Les cerveaux de nos ancêtres étaient faits pour affronter les tigres aux dents de sabre. Ce «formatage de base» est resté. Pour cette raison, les impulsions désagréables et menaçantes accaparent rapidement notre attention. Ce « réglage d’usine» nous amène à nous concentrer sur des émotions négatives comme la peur, le deuil et la colère lorsque nous y sommes confrontés. C’est comme si nous étions frappés par une balle de tennis. Nous la sentons, réagissons et sommes prêts à agir. Malheureusement, notre « réglage d’usine » psychologique gère très différemment les émotions positives. Contrairement aux balles de tennis, elles ne sont pas nettes et rapides, mais elles se manifestent plus doucement et sont faciles à dissiper, justement comme les bulles de savon.

Quelle chance ai-je de pouvoir m’ouvrir à ces bulles de souvenirs lorsque je suis touchée par un évènement ?

Nous ne sommes pas tous programmés de la même manière. La réactivité de notre cerveau aux éléments négatifs et notre ouverture aux bulles de souvenirs dépend aussi de notre patrimoine génétique. C’est lié à notre seuil de sensibilité, notre structure cérébrale et aussi, très fortement, à notre biographie.

Pouvez-vous préciser ?

Pour reprendre une image, je dirais: ce n’est pas pareil d’avoir grandi en plein court de tennis ou en marge du terrain, où l’on reçoit et peut apprécier des bulles de souvenirs de temps à autre. Ces mécanismes peuvent s’utiliser à titre préventif, notamment dans l’éducation. Par exemple, lorsque les enfants rentrent de l’école à midi ou lorsqu’ils vont se coucher le soir, on ne parlera pas seulement des choses «bêtes et méchantes», mais attirera aussi leur attention sur les beaux et agréables moments de la journée. Lorsque je prends conscience qu’un évènement était positif et que je m’en réjouis aussitôt, je peux le potentialiser. Alors, je place pratiquement la bulle sous le «projecteur», et le souvenir prend de l’importance. Mon cerveau apprend à prendre au sérieux de tels moments, et je parviens à développer ma résistance. Des études montrent que les personnes résilientes s’approprient les émotions positives pour recouvrer leur performance psychique après une situation difficile. On peut y voir une stratégie pour surmonter des évènements éprouvants.

Peut-on s’y entraîner soi-même ?

Oui. Nous pouvons collectionner les bulles. Et nous pouvons aussi aménager des espaces sûrs pour les sauvegarder, en posant des questions comme: «Qu’est-ce qui m’a plu aujourd’hui?», «Qu’est-ce qui m’a fait plaisir?», «Qu’est-ce qui m’a fait sourire?». Même si les balles de tennis étaient et sont nombreuses, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il y a aussi de petites et grandes bulles de souvenirs. L’enjeu est d’en prendre conscience. Dans ce sens, la psychologie positive y contribue. Elle ouvre une « voie parallèle » au « réglage d’usine». Par là, nous pouvons agir de manière plus souple parce que les sentiments positifs nous ouvrent la voie à des actions autres que fuir, lutter ou faire le mort, à savoir, explorer, sortir, entretenir des contacts sociaux. Par ricochet : voir du nouveau et apprendre. Pour finir, nous évoluons, nous grandissons.

Idées d’exercices en fin de journée

Première question : qu’est-ce qui m’a plu aujourd’hui ?
Deuxième question : comment ai-je contribué à ce ressenti positif ?

 

Dre Daniela Blickhan, diplomée en psychologie, MSc. Études de psychologie à Würzburg, de psychologie positive à Londres et doctorat en la matière à la FU de Berlin. Accréditée pour la formation et la supervision de coaching (DCV, DACH-PP, DVNLP). Depuis 1991, elle dirige l’Institut d’Inntal et, depuis 2013, elle préside l’Association faîtière germa-nophone de psychologie positive. Publications : « Positive Psychologie – ein Handbuch für die Praxis » (Junfermann, 2018), « Positive Psychologie im Coaching » (Junfermann, 2021 – prix du meilleur livre de coaching 2021/2022).

Contact : www.inntal-institut.de

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Interview : Petra Strickner

Protection de soi et d’autrui, à tous les niveaux

Pour nos clients et notre Careteam, nous avons déterminé des « critères de protection » épousant nos valeurs et notre attitude.

L’« espace de dignité » de dignité » élaboré par le psychologue et politologue Stephan Marks prévoit quatre facteurs décisifs pour une vie satisfaisante et digne : la reconnaissance, la protection, l’appartenance et l’intégrité. Ils sous-tendent le bon fonctionnement d’une relation communautaire, avant, pendant et après une intervention.

 

Sources : Marks, Stephan : « Die Würde des Menschen ist verletzlich » et « Scham, die tabuisierte Emotion » (en allemand).

 

Besoin fondamental :  la reconnaissance
Pour s’épanouir, tout être humain a besoin de reconnaissance, comme les plantes nécessitent de la lumière. Lors d’une intervention d’urgence, la reconnaissance implique que je perçois qu’il est arrivé quelque chose de grave.

Avant l’intervention, nous valorisons les connaissances et l’expérience de notre équipe lors de formations et d’exercices pratiques. Pendant l’intervention, la reconnaissance de la gravité des faits est importante pour les personnes affectées, au même titre que le respect de leurs réactions. Notre attitude alors est qu’un individu est fondamentalement capable de surmonter des crises et de graves revers. Après la mission, différentes méthodes de reconnaissance sont appliquées au niveau de l’équipe pour encourager la qualité et le développement. Elles peuvent prendre la forme d’entretiens post-interventionnels, d’analyses de cas pratiques ou de supervisions.

L’entreprise, elle, peut envoyer un signal phare par une attitude qui exprime : « Nous nous trouvons dans une situation hors norme et sommes là pour vous en tant qu’employeur. »

Besoin fondamental : la protection
Des sentiments de désarroi, d’impuissance ou de honte peuvent naître lorsque les limites de la protection corporelle ou psychique ont été enfreintes.

Nous enseignons comment gérer la proximité et la distance, pour préserver nos propres limites et celles des personnes que nous protégeons. Les séminaires préparatoires se penchent principalement sur les questions suivantes: jusqu’où puis-je me rapprocher physiquement d’une personne, d’un enfant? Comment me protéger et protéger les personnes affectées lors d’une transgression psychique ? Le caractère volontaire des interventions sert aussi à protéger les différents membres de l’équipe. En tant que caregiver, je ne suis pas obligée de participer à une intervention si, à ce moment, je me trouve dans une situation difficile. En tant que psychologue d’urgence, je peux renoncer à une intervention lorsque la situation renvoie à ma biographie, par exemple si j’ai des enfants du même âge. Pendant et après l’intervention, des espaces de protection psychique et aussi physique sont en place pour garantir la sécurité des personnes aux différents niveaux. Par exemple, des locaux en retrait pour les entretiens post-interventionnels. Lors d’incidents très médiatisés, nous protégeons les personnes affectées et notre équipe des regards indiscrets des badauds et de la presse. Naturellement, la plus stricte confidentialité est de mise. Même les mandants n’apprennent pas la teneur des entretiens personnels. Les cadres et les RH sont particulièrement mis à contribution à ce moment. Qui a besoin d’une protection particulière? Comment gérer les sujets délicats? Comment créer des espaces et des moments hors du deuil ? Pour bien gérer la crise, il est crucial de se poser ces questions, de prendre les mesures correspondantes et, le cas échéant, de solliciter un soutien spécialisé. Cet effort s’avère aussi payant à moyen et à long terme.

Besoin fondamental : l’appartenance
Aider une personne à consolider sa dignité implique lui donner un sentiment d’appartenance.

Le travail chez Carelink semble justement répondre à ce besoin. Notre dernier sondage auprès du Careteam a montré que ses membres se sentent intégrés à un réseau qui partage leurs normes et leurs valeurs, et que leur engagement contribue à donner un sens à leur quotidien.

Lors du travail d’assistance, nous devons encourager les personnes affectées à renouer le contact le plus vite possible avec leurs principales personnes de référence. La restauration du contact est d’autant plus importante lorsque la personne est jeune ! En effet, nous savons que les catastrophes enferment souvent les gens dans une grande solitude. En étant là et en restant solide, on transmet un message capital : « Tu n’es pas seul(e) ! »

Après l’évènement, l’entreprise et les collègues peuvent contribuer sur les plans personnel et structurel à répondre au besoin fondamental qu’est l’appartenance. Par exemple, si l’entourage ne considère pas la « faiblesse » comme une honte, les personnes affectées ne se sentiront pas exclues; elles tendront davantage à solliciter du soutien et à l’obtenir.

Besoin fondamental : l’intégrité
Lorsqu’une personne n’était pas à la hauteur de ses propres valeurs et qu’elle éprouve une honte (morale), sa dignité risque d’être atteinte. Stephan Marks pose qu’il s’agit de ses propres attentes ou normes et non de celles fixées par les autres.

Partant, notre Careteam doit pouvoir déployer ses compétences professionnelles au mieux. À cette fin, différents aspects sont nécessaires avant, pendant et après l’intervention: une vaste réflexion, l’adaptabilité, la concertation avec la direction des opérations et le mandant et, enfin, la confrontation avec ses propres exigences (morales).

Agir de manière morale implique que l’entreprise ne considère pas les mesures d’assistance psychosociale comme un mal nécessaire, mais que leur évidence soit inscrite dans son ADN. Sincère, la sollicitude envers les collaborateurs crée un effet de multiplication et génère une culture de la confiance et de l’estime, ce qui nous ramène à la reconnaissance.

Petra Strickner est psychologue diplômée, thérapeute systémique, psychologue d’urgence et superviseuse. Depuis 2012, elle travaille pour Carelink en tant que psychologue d’urgence. Depuis six ans, elle dirige l’équipe des volontaires.

Aider, c’est vivre plus heureux

Les mauvaises nouvelles pleuvent en ce moment. Nous ne pouvons éliminer tous les malheurs de ce monde, et pourtant nous pouvons vivre plus heureux. La recherche confirme ce que notre expérience nous a peut-être déjà soufflé : aider, c’est positiver.

La souffrance, la guerre, la destruction… Les drames font les gros titres des médias. Inimaginable, le mal que l’être humain peut causer à d’autres, à la nature et à d’autres espèces vivantes. Certains perdent espoir face aux nouvelles quotidiennes. Et pourtant, c’est une vérité en demi-teinte. Car, oui, de nombreuses horreurs sont commises. Mais certaines personnes se lèvent pour d’autres et s’investissent énormément pour faire le bien sur terre. Disponibles pour les autres, elles aident et soutiennent de toutes leurs forces, dans leur vie professionnelle ou privée, contre rémunération ou non.

Le présent article porte explicitement le regard sur le positif, sans pour autant minimiser les difficultés et les situations pesantes – pour tabler sur la résilience sans ignorer la douleur, comme le prône la psychiatre et traumathérapeute allemande Luise Reddemann. La recherche nous apprend que le soutien social constitue un des principaux facteurs de récupération, pour ne pas dire de « guérison » après un évènement traumatique. C’est pourquoi cet article est dédié aux personnes qui apportent ce soutien social, les aidants. Nous nous interrogerons sur différents aspects: pourquoi aider autrui génère un sentiment positif, si les aidants sont de «meilleures personnes» et comment ce soutien déclenche un sentiment de bonheur.

Pourquoi aider génère un sentiment positif

Aider, c’est un effort et parfois un poids. Et pourtant, des milliers de personnes s’investissent à titre volontaire dans des organisations de sauvetage ou chez les pompiers; elles interviennent pendant leur temps libre pour enseigner, coacher au football, diriger un chœur, accompagner des personnes mourantes, et la liste est loin d’être exhaustive. Pourquoi, et souvent même à titre gracieux ?

Le sociologue allemand et chercheur dans le domaine du bonheur Jürgen Schupp, de l’Institut allemand de recherche économique, explique que les activités de loisirs qui servent la communauté apportent beaucoup plus de satisfaction qu’une augmentation de salaire, par exemple. L’argent ne ferait donc pas le bonheur ?

Selon Hans-Werner Bierhoff, psychologue social allemand, des études prouvent que le risque de mortalité est nettement moins élevé chez les personnes qui soutiennent des amis, des proches ou une voisine, ou qui prodiguent des soins à leur partenaire de vie. Un fait indépendant de l’âge et du tissu social. Dans le cas inverse, c.-à-d. pour les personnes bénéficiaires de cette aide, le constat ne s’appliquait pas. De même, les données scientifiques étayent solidement que le bénévolat augmente la satisfaction. Bref: on n’éprouve pas seulement un bon sentiment à aider les autres, on contribue aussi aux propres bien-être et satisfaction. De plus, on augmente son estime de soi. Cette adéquation avec ses convictions déclenche une boucle d’autorenforcement. Le constat que l’on peut faire bouger les choses nourrit son estime de soi.

Les aidants sont-ils de meilleures personnes ?

Les motifs de gestes altruistes sont multiples. L’éventail couvre des facteurs comme la responsabilité sociale, la compassion avec les êtres qui souffrent, la recherche d’autoefficacité ou, alors, un sentiment de culpabilité, la volonté de rendre la pareille ou le besoin d’équité. Mais est-ce vraiment l’expression d’un altruisme ou voulons-nous simplement nous sentir mieux face à l’injustice de ce monde ou nous distraire de nos propres problèmes ?

Le psychologue américain Daniel Batson a creusé le sujet et distingue deux systèmes de motivation qui sous-tende l’aide: l’altruisme et le système de motivation égoïste. Batson et son équipe ont formulé l’hypothèse de l’empathie-altruisme, selon laquelle l’individu n’agira avec désintéressement que s’il éprouve de l’empathie. Ce sentiment déclenche une préoccupation pour quelqu’un, de qui il s’occupera alors. L’aide peut aussi naître d’un comportement dépourvu d’empathie et qui provient d’une motivation égoïste. Ce serait le cas lorsque nous aidons pour réduire un malaise personnel. Or, lorsque nous aidons pour des motifs égoïstes, nous sommes dans une logique de « coût-utilité » : nous opterons pour l’action qui à moindres frais promet la plus grande récompense. Il se peut alors que nous prenions la fuite lorsqu’il n’y a pas de témoins alors qu’une personne aurait besoin de notre aide, par exemple lors d’un accident de la route. À l’inverse, la préoccupation empathique nous amènera plutôt à aider, même s’il serait facile de fuir. Ici, le caractère chaleureux, la bonté de cœur et la compassion prédominent tandis que dans le système du malaise personnel, l’individu se sentira alarmé, inquiet ou opprimé face à la souffrance d’une victime. Entretemps, de nombreuses expériences ont étayé l’hypothèse de l’empathie-altruisme .

Aider produit un sentiment de bonheur

Aider peut déclencher des émotions positives chez les aidants. Comme pour l’ivresse du coureur (runner’s high), l’assistance peut provoquer un sentiment d’euphorie (helper’s high).

Des neuroscientifiques américains ont découvert qu’une action bénévole ou caritative active le même hémisphère cérébral que lors d’activités plaisantes ou sensuelles comme le sexe ou la nourriture. Il s’agit du circuit de récompense dans le cerveau. Cette zone, appelée système mésolimbique, libère des neurotransmetteurs, ou « hormones du bonheur », comme l’ocytocine et la vasopressine. Ainsi, les aidants se sentent effectivement bien et souhaitent retrouver cet état. Fait intéressant: l’hémisphère cérébral correspondant s’active à la seule pensée de fournir une bonne action. On pourrait ainsi affirmer qu’aider produit un sentiment de bonheur, renforce le système immunitaire et réduit le stress.

Dre Johanna Gerngroß est psychologue clinique, de santé et d’urgence. Elle enseigne à l’Université privée Sigmund- Freud de Vienne et dirige le cursus de psychologie d’urgence et de traumatologique. Directrice de la société de conseil COMMITMENT Institut®, elle est aussi auteure et praticienne en cabinet libéral.

« Embrasse l’inattendu !» – Theo Wehner et la culture de l’échec

L’échec est une chance : le professeur émérite Theo Wehner plaide en faveur d’une culture qui admet l’échec, qui « s’attend à tout pour ainsi ne jamais être déçue ».

Pour son entrée en matière, fulminante, le professeur émérite cite Michel Foucault : « À la limite, la vie, c’est ce qui est capable d’erreur. » Dans son exposé sur l’échec, il montre le clivage entre les convictions personnelles et le comportement effectif. L’action peut être prédite, mais elle n’est pas prédéterminée. La différence entre l’objectif fixé et le point d’arrivée mène à des résultats inattendus.

Accepter l’insécurité permanente
L’individu doté des bonnes stratégies peut accepter cette insécurité. Tout dépend de sa situation, de son intérêt, des attentes en jeu et, finalement, de sa volonté. « Dans notre actuelle société de la connaissance, nous agissons dans une insécurité permanente », explique Theo Wehner. En acceptant l’insécurité comme un état normal, on reste plus souple face à l’imprévisible et on peut accepter la nouvelle situation plus rapidement.

Rebondir sur l’erreur
En entreprise, on parle d’un réel droit à l’erreur, une culture qui se manifeste avant tout par une attitude. D’emblée, il faut distinguer l’erreur (commise en dépit de ses aptitudes et connaissances) de la faute (relevant d’un manquement à des règles ou d’un défaut d’information). L’enjeu n’est pas de chercher les erreurs ou leurs auteurs, mais de comprendre en quoi cette action « erronée » était pertinente pour la personne concernée au moment de sa décision. Ce n’est qu’au prix d’une telle curiosité que les compétences se développent et qu’une évolution est possible.

« Embrasse l’inattendu » : tout est dit. La souplesse mentale qui permet de rester en phase avec une existence pavée d’erreurs et de décider en fonction de la situation contribue fortement au bien-être et, en fin de compte, à la réussite. Ou à l’échec…

Professeur émérite Theo Wehner, professeur de psychologie du travail et des organisations, EPFZ
Theo Wehner est professeur ordinaire de psychologie du travail et des organisations au Centre des sciences de l’organisation et du travail depuis octobre 1997, professeur émérite de l’EPF de Zurich et professeur invité à l’université de Brême depuis octobre 2015. Ses travaux scientifiques se concentrent sur la psychologique de l’erreur, le rapport entre expérience et savoir, l’action coopérative et la recherche psychologique sur la sécurité.

 

« Oui, cela vous concerne. » – Imke Knafla et le rôle des cadres lors d’une crise

Le Covid a laissé des traces, comme le montre une étude menée par l’université de Berne en 2022 : 30 % du personnel se sent assez, voire très épuisé. Chaque année, cet état coûte environ 6,5 milliards à l’économie suisse. La professeure Imke Knafla souligne toute l’importance des cadres dirigeants et le rôle qui leur incombe pour préserver la santé mentale de leurs équipes.

Les chiffres sont préoccupants : le poids psychique a augmenté chez les employés pendant la pandémie. Un tiers du personnel, et particulièrement la jeune génération des moins de 30 ans, se sent assez, voire très épuisée.

« Peu importe que la surcharge soit d’origine privée ou non. Par effet de débordement, la performance de travail finit tôt ou tard par être affectée », explique Imke Knafla. Il est donc essentiel que les entreprises et les cadres abordent le sujet et prennent des mesures. À commencer par l’attitude adéquate. En effet, qui attend des collaborateurs qu’ils acceptent un soutien, doit se pencher sur le sujet du surmenage au travail et sensibiliser en conséquence. « Le sujet du burnout largement couvert ces dernières années, a donné plus de visibilité à la surcharge psychique », ajoute-t-elle.

Considérer l’individu comme un tout
La prochaine étape consiste à former les cadres afin qu’ils puissent détecter les signes correspondants, les aborder et proposer un soutien. L’interaction avec des personnes surmenées exige toutefois de la patience et du doigté, car toutes n’en parlent pas ouvertement et n’acceptent pas d’aide. Les cadres devraient considérer une personne dans son ensemble, plutôt que de se concentrer uniquement sur le maintien de la performance au travail. Dans ce contexte il est également important de maintenir le contact avec les personnes concernées et de réitérer l’offre de soutien. Au besoin, il sera judicieux de faire appel à des spécialistes externes.

L’importance d’une réelle culture de la sollicitude
Selon Imke Knafla, les mesures prises aux échelons supérieurs sont également importantes : « Dans l’idéal, les entreprises établissent une culture qui amène les collaborateurs à s’adresser spontanément à leurs responsables. » Pour atteindre ce but, il faut une culture attentive (de sollicitude), un cadre salutogène et le bon exemple des cadres. C’est à ce prix uniquement que la confiance se met en place et prend un tour concret.
Alors, le résultat est réjouissant, car la culture de la sollicitude est un moteur de motivation pour les employés ; la fluctuation et l’absentéisme diminuent, ce qui finalement se répercute favorablement sur la prospérité de l’entreprise et sur les coûts au niveau macroéconomique.

 

Professeure Imke Knafla, directrice du Centre de psychologie clinique & de psychothérapie, ZHAW
La professeure est co-directrice du Centre de psychologie clinique & de psychothérapie à l’Institut de psychologie appliquée de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW). Titulaire d’un diplôme de psychothérapeute reconnu au niveau fédéral, spécialiste en coaching et en supervision, elle dirige le service de conseil psychologique de la ZHAW.

 

« La reconnaissance de l’autre est incomparablement précieuse » – Giovanni Maio s’exprime sur l’actuelle culture de la sollicitude

Selon lui, la rupture que provoque un évènement hors norme imprime une profonde vulnérabilité chez les personnes affectées, dont la vie se décline alors en un « avant » et un « après ». Le soutien et la sollicitude qu’elles obtiennent sont essentiels et passent par la bonne attitude.

Le professeur Giovanni Maio fait une entrée discrète. Puis, on peut littéralement le voir penser, lui qui s’est passé de support visuel pendant son exposé. Pendant 45 minutes, il entreprend de distiller l’essence de la sollicitude dans l’alambic de ses réflexions. Et d’entrer dans le vif du sujet, la crise. Elle survient sans signes avant-coureurs et provoque un sentiment d’impuissance. Elle accapare toute l’attention, s’empare des êtres humains et interrompt la vie et tous les éléments de son quotidien. Dans son sillage, la confiance originelle et la confiance générale s’en trouvent ébranlées, cédant la place à une impuissance à envisager l’avenir. Cette confrontation avec la vulnérabilité est hors norme et scinde désormais l’existence en un « avant » et un « après ».

Découpler radicalement la crise
Avant de plonger dans la sollicitude, comprise comme un acte volontaire, le professeur Maio explore les causes de cette vulnérabilité. L’individu dépend de son environnement. Il dépend non seulement de son intégrité physique, mais aussi de relations qui débouchent sur la reconnaissance de son « moi ». Or, l’existence de ce « moi » est limitée dans le temps, rendant omniprésente l’irrémédiable finitude de l’être humain. Une crise provoque non seulement une rupture de ces interdépendances et relations, mais aussi leur annihilation passagère.

Guérir par la sollicitude et la reconnaissance
La sollicitude active envers les personnes affectées peut guérir lorsqu’elle prend la « bonne » forme. Il s’agit surtout de les comprendre et de bien écouter, en plus d’une attitude ouverte et détachée de toute attente. « La sollicitude, c’est aussi comprendre ce dont l’autre a besoin, en faisant abstraction de ce que moi, qui pourvois cette sollicitude, je souhaiterais. » Ce soutien représente aussi un très bon fondement pour construire l’indispensable relation de confiance. Pour l’entretien qui suivra, il faudra souvent le plus grand doigté, afin que la personne affectée puisse surmonter sa honte et laisser son interlocuteur regarder au plus profond de son être. Ce dernier réagit de manière imperturbable et reste, confirmé et soutenu, aussi longtemps que son aide sera nécessaire. « Tu es quelqu’un de précieux », c’est le message véhiculé et qui permet de rendre à la personne affectée ce dont elle a tellement besoin : la reconnaissance en tant qu’être humain dans toute son unicité.

Professeur Giovanni Maio, professeur d’éthique en médecine à l’université de Fribourg-en-Brisgau
Giovanni Maio, M.A. (phil., né en 1964) a étudié la médecine et la philosophie aux universités de Fribourg, de Strasbourg et de Hagen. Après son doctorat en médecine à Fribourg, il s’est spécialisé dans la médecine interne. En 2000 suit son habilitation en éthique et en histoire de la médecine à l’université de Lübeck. En 2002, il a été nommé à la Commission centrale d’éthique pour la recherche sur les cellules souches. Depuis 2005, il détient une chaire de bioéthique et d’éthique médicale à l’université Albert Ludwig de Fribourg, où il dirige aussi le centre interdisciplinaire d’éthique.

 

Carelink, une source d’optimisme

Qu’est-ce que l’optimisme ? Comment l’alimenter et le conserver ? La conférence des volontaires, qui s’est tenue à Glattbrugg cette année, s’est tout particulièrement penchée sur ce sujet. La rencontre était à la fois inspirante et riche en savoir pratique.

Entrée en matière fulminante et surprenante ! À la conférence 2023 des volontaires, organisée à Glattbrugg le 17 juin dernier, Mark Riklin, philosophe et chercheur dans l’art d’être heureux, a d’emblée invité la centaine de participants à se positionner chez les rêveurs ou les réalistes. Puis, il a noté des déclarations spontanées sur des réussites, petites et grandes, de la vie quotidienne. C’était impressionnant de voir la liste s’allonger et étonnant de constater qu’il faut si peu pour vivre un moment joyeux ou heureux : un réveil serein, une fantaisie d’enfant, des relations enrichissantes et même un arrêt de bus végétalisé. Donc, les moments positifs sont à portée de main. « En se rappelant que le monde est meilleur que certains ne le croient, on diffuse de l’optimisme », explique Mark Riklin. Et de poursuivre : « La confiance nous donne le courage dont nous avons besoin, notamment pour affronter l’incertitude. »

Le professeur Giovanni Maio, quant à lui, nous apprend que la vulnérabilité humaine est à la fois notre problème et notre élément fédérateur. Selon lui, un évènement hors norme provoque une rupture capable de tout ébranler et, par conséquent, redoutée de beaucoup. Ces moments nous placent face à notre vulnérabilité. Dans le même temps, les relations humaines font émerger des passerelles qui procurent une certaine sécurité. En raison de cette vulnérabilité, nous devons prendre soin de nous, en d’autres termes, développer des réflexes protecteurs. « Apporter des réponses et faire naître l’espoir », affirme le philosophe et éthicien de la médecine allemand.

Parlant d’optimisme : le professeur émérite Theo Wehner nous a renvoyés à la sagesse d’Edward Aloysius Murphy : il postulait que tout ce qui est susceptible de mal se passer ira mal. Or, un échec implique aussi de mettre le doigt sur l’erreur. Et c’est une force dans la vie parce que l’être humain anticipe par essence. Capable de changer de perspective, il parvient à prévoir un comportement et à le changer.

Ce psychologue du travail et des organisations est d’avis que les membres d’un careteam devraient être en mesure de gérer l’insécurité, de réagir aux erreurs et aux déceptions. Pris sous cette forme, le volontariat est une ressource psychosociale, une source de sens pour l’individu et « au fond, le capital social d’une société. » Theo Wehner a souligné que c’est l’estime et la reconnaissance qui motivent les volontaires. Toutefois, ces moteurs s’essoufflent dès que le travail est perçu comme une obligation.

L’optimisme comme ombrelle thématique, le caractère volontaire du Careteam en tant que contribution à une société plus sociale, et dans tout cela, Carelink, une force motrice et une « source de sens » : la conférence 2023 des volontaires restera assurément gravée dans les mémoires.

Bon pour la santé : aborder les émotions sans juger

Les émotions mettent de la couleur dans nos vies, parfois par touches, parfois en nous submergeant. En acceptant toutes les émotions sans juger, nous favorisons un effet stabilisant et salutogène. Janine Köhli, psychologue d’urgence, explique comment ces enseignements sont mis à profit dans son domaine.

Dans notre perception habituelle, nos émotions sont soit positives soit négatives. Étymologiquement parlant, le terme vient du latin « ex movere », qui signifie « mettre en mouvement ». Si les émotions négatives comme la tristesse nous paraissent indésirables parce qu’elles entament notre énergie, d’autres comme la joie sont positives à nos yeux en raison de leur effet vivifiant.

Or, une telle distinction ne tient pas compte de la fonction psychique. En effet, les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Elles ont un sens et, partant, leur importance. Processus complexe, ces réactions mobilisent des forces qui nous permettent de tendre vers nos besoins. Elles constituent une essence fondamentale de la nature humaine et couvrent différents aspects. Elles provoquent non seulement un sentiment, mais aussi des processus biologiques et cognitifs. Sans oublier le comportement qu’elles déclenchent pour couvrir un besoin menacé. Prenons la peur : elle provoque une tachycardie, qui nous permet de remarquer un danger et de fuir pour nous mettre en sécurité. Ainsi, cette catégorisation des émotions en « agréable » et « désagréable » méconnaît leur vraie nature.

Des recherches montrent qu’une personne se porte mieux lorsqu’elle prête attention à ses émotions négatives et les considère comme normales plutôt que de les réprimer. Dans le même temps, nous élargissons notre perception et augmentons notre flexibilité cognitive lorsque nous cultivons des émotions plaisantes. Ces deux aspects renforcent notre résistance.

Toutes les émotions ont leur raison d’être de par leur ambivalence et contribuent sensiblement à notre santé mentale, un aspect avec lequel la psychologue d’urgence travaille. Les évènements potentiellement traumatisants peuvent violemment saisir et secouer les personnes sur le plan émotionnel. De telles émotions ne sont ni abordées ni approfondies activement en psychologie d’urgence, contrairement à la psychothérapie. En effet, un « travail » prématuré et forcé sur les émotions impacte la stabilisation et peut même aggraver la réaction de stress et empirer l’état de la personne affectée. Si cette dernière en parle spontanément, les intervenants se concentreront sur la stabilisation :

  • Reconnaissance : entendre et nommer les émotions (« J’entends que vous avez peur. »)
  • Acquiescement : normaliser et légitimer les émotions. Chacune a sa raison d’être, d’autant qu’elles signalent justement à la personne qu’elle se trouve dans une situation exceptionnelle. (« Vous pouvez bien réagir par la peur, car de telles situations font peur »).
  • Absence de pression : éviter les formules à l’emporte-pièce comme « c’est un mal pour un bien » ou un positivisme inadéquat comme « tout finira par s’arranger, vous verrez ». Les émotions de la personne sont légitimes.
  • Transmettre de l’optimisme : en favorisant la bienfaisante possibilité pour la personne de se décharger et de se sentir en sécurité, la personne affectée peut envisager de mieux en mieux les prochaines et possibles étapes.

Pour la psychologie d’urgence, le soutien émotionnel consiste à offrir un cadre sûr qui, agréable et soulageant, contrebalancera le pesant stress provoqué par l’évènement hors norme. Et, bien que l’on n’aborde pas de front les émotions ressenties pendant l’incident, les personnes affectées  les mentionnent souvent par la suite avec reconnaissance : d’avoir eu quelqu’un à leurs côtés pendant la situation d’urgence pour les écouter sans aprioris leur a « fait du bien ».

Auteure :
Janine Köhli est psychologue d’urgence chez Carelink, où elle dirige les formations Care&Peer Practice (CPP). Elle est psychothérapeute indépendante, spécialisée dans les techniques centrées sur les émotions.

Bibliographie :
David, S. (2020). L’agilité émotionnelle. Accueillir ses émotions & les transformer, aux éditions J’ai lu
Hausmann, C. (2021). Interventionen der Notfallpsychologie. Was man tun kann, wenn das Schlimmste passiert.

Psychologie d’urgence : soutien en Ukraine

Chaque semaine, 35 psychologues scolaires ont suivi en ligne, pendant trois à quatre heures, des exercices et des supervisions en psychologie d’urgence. Ces personnes se trouvent en Ukraine, parfois en pleine zone de conflit. Le projet, baptisé Helping to cope, ou encore Hope, vise à prévenir des séquelles lourdes et durables après un traumatisme.

Peu après l’invasion russe, des psychologues de la Haute école de psychologie de Berlin ont sollicité un soutien professionnel. La demande a été soumise au groupe spécialisé en psychologie d’urgence de la fédération allemande des psychologues. Aussitôt, Damaris Braun et Lena Deller-Wessels ont mis sur pied un projet en coopération avec l’AETAS, la fondation allemande pour les enfants confrontés à des situations de crise, et avec la Medical School de Hambourg. Ce pilote en faveur de l’Ukraine portait sur la psychologie d’urgence et des aspects thérapeutiques.

L’accent était non seulement placé sur les bases de la psychotraumatologie, mais également sur la mise en pratique, notamment sur les techniques de gestion du stress et la prise en charge. La difficulté était que la plupart des approches de psychologie d’urgence n’étaient pas conçues pour les conflits armés. « Nous devions nous interroger sur la meilleure adaptation possible des approches existantes aux besoins en l’Ukraine », explique Damaris Braun. Il fallait donc de l’expérience dans le travail avec les enfants en zones de conflit et une expertise dans le langage adapté aux enfants. Pour toutes les parties, l’interaction devait être empreinte de respect.

L’Ukraine possède un bon encadrement psychopédagogique, chaque école pouvant recourir à un psychologue scolaire. Ces spécialistes aident aussi le corps enseignant. Or, les huit millions de personnes déplacées sur le territoire et le risque de guerre qui couvait déjà depuis un certain temps pèsent lourdement sur les enseignants et les services de psychologie. En effet, des questions primordiales se posent, entre autres : comment organiser un cours lorsque la classe doit se rendre dans un abri antiaérien ; ou : comment gérer les angoisses des écoliers lors d’une alerte à la bombe ?

La série pilote a démarré dès juin 2022 et comptait 35 participants, la deuxième formation a commencé à l’automne 2022. La demande était considérable. Les collègues d’Ukraine ont fait forte impression sur Damaris Braun, « en particulier, par leur volonté d’apprendre et de s’investir dans une formation, en parallèle d’un quotidien difficile et pesant. » Un tel projet n’aurait pu se réaliser sans un engagement bénévole. Les exercices et les supervisions de psychologie d’urgence, plusieurs heures en ligne, sont prenants des deux côtés et nécessitent les services d’interprètes en ukrainien.

La psychologie d’urgence intervient généralement lorsque l’on peut assurer la sécurité physique, ce qui n’est pas possible dans une région en guerre. « L’expérience acquise dans d’autres régions en crise montre que, dans de telles circonstances, les mères ne peuvent plus jouer avec leurs enfants et que l’interaction entre les parents et eux est altérée. », déclare Damaris Braun. Par conséquent, il est essentiel de savoir procurer un sentiment d’attachement et de stabilité aux enfants et aux adolescents. L’école assume un rôle important, à commencer par les informations qu’elle transmet sur ce qui est normal dans une situation hors norme et sur les principes que le corps enseignant peut appliquer pour instaurer un climat de sécurité.

Damaris Braun est particulièrement touchée par la gratitude qu’expriment les participants. Elle constate que le projet renforce les ressources rien que par son existence et parce qu’il permet l’échange et la reconnaissance de la situation. Par-delà les formations et les cours de perfectionnement, le projet cherche à atteindre le plus d’enseignants possible. Lors d’une conférence organisée pendant la dernière semaine de mars, plus de 300 spécialistes d’Ukraine ont participé en ligne.

Pour l’heure, les fonds nécessaires pour poursuivre ce projet, soutenu jusque-là par la Société allemande pour la coopération internationale (GIZ) et la fondation AETAS, ne sont pas encore réunis. Toutes les parties prenantes espèrent que le financement de la prochaine série de formations, qui devrait commencer à l’automne 2023, pourra être assuré car, comme le constate Damaris Braun, « le besoin est énorme. »

Vous trouverez ici de plus amples informations sur le projet et ses responsables en Ukraine et en Allemagne.

Comment procède un careteam en cas d’urgence ?

Se mobiliser rapidement, c’est une chose ; faire comprendre rapidement la situation à une personne affectée est une autre paire de manches. Regula Lanz, psychologue d’urgence et responsable des formations chez Carelink, a entrepris d’expliquer les interventions des careteams pour Penso, la revue alémanique pour les spécialistes en RH, assurances sociales et prévoyance professionnelle. Voici la synthèse.

Lorsque les médias couvrent un accident grave, ils précisent souvent qu’un careteam a été mobilisé. Mais que fait une telle équipe sur place, lorsqu’elle est confrontée à un évènement hors norme ?

La réactivité pèse autant qu’une organisation professionnelle. Ce constat amène de grandes entreprises comme les CFF ou des compagnies aériennes à former du personnel capable de fournir une assistance en cas d’urgence. Mais la plupart des entreprises recourent à des organisations professionnelles comme Carelink. L’assistance psychosociale fait partie d’un plan d’urgence et de gestion de crise plus large.

Regula Lanz explique que parmi les situations d’urgence pouvant survenir en entreprise figurent les accidents, les braquages et les suicides. Ces évènements ébranlent les personnes affectées autant que les carambolages, les attentats terroristes ou les accidents d’avion, souvent relayés à grand bruit par les médias.

La mission du careteam, quelle que soit l’ampleur de l’incident, reste fondamentalement la même : une analyse sur place afin de pouvoir conseiller le client et coordonner les prestations d’assistance avec lui. Le but premier est de soulager les personnes affectées et de restaurer leur auto-efficacité. Souvent, les réactions d’individus soumis à un stress extrême sont complètement imprévisibles et constituent un réel défi.

« Nous les aidons à retrouver une structure, un sentiment de sécurité et leur calme », explique Regula Lanz. Il faut donc leur fournir une espèce de fil conducteur à travers cette situation hors norme, c’est-à-dire les moyens de comprendre ce qui est arrivé. Un entretien sur l’incident et les procédures prévues peut réduire leur agitation et leur permettre peu à peu de surmonter leur vécu. « Parler de ce qui est survenu peut calmer les personnes affectées », explique Regula Lanz. Le careteam entreprend toujours ce qu’il faut pour qu’elles soient à même de prendre des décisions autonomes.

L’enjeu est de leur éviter, à terme, des troubles de stress post-traumatique, des angoisses, des comportements addictifs ou des dépressions. Dans cette perspective, chaque assistance psychologique d’urgence fait l’objet d’un rappel de suivi (call back). Si la personne affectée se plaint de problèmes persistants comme des troubles du sommeil, un accompagnement thérapeutique s’impose. Toutefois, ce dernier n’entre plus dans le cadre de la psychologie d’urgence, mais Carelink propose volontiers des contacts correspondants.

Vous trouverez l’article complet et des recommandations pratiques sur l’intervention des careteams dans l’édition 02/2023 et ici.