Psychologie d’urgence : soutien en Ukraine

Chaque semaine, 35 psychologues scolaires ont suivi en ligne, pendant trois à quatre heures, des exercices et des supervisions en psychologie d’urgence. Ces personnes se trouvent en Ukraine, parfois en pleine zone de conflit. Le projet, baptisé Helping to cope, ou encore Hope, vise à prévenir des séquelles lourdes et durables après un traumatisme.

Peu après l’invasion russe, des psychologues de la Haute école de psychologie de Berlin ont sollicité un soutien professionnel. La demande a été soumise au groupe spécialisé en psychologie d’urgence de la fédération allemande des psychologues. Aussitôt, Damaris Braun et Lena Deller-Wessels ont mis sur pied un projet en coopération avec l’AETAS, la fondation allemande pour les enfants confrontés à des situations de crise, et avec la Medical School de Hambourg. Ce pilote en faveur de l’Ukraine portait sur la psychologie d’urgence et des aspects thérapeutiques.

L’accent était non seulement placé sur les bases de la psychotraumatologie, mais également sur la mise en pratique, notamment sur les techniques de gestion du stress et la prise en charge. La difficulté était que la plupart des approches de psychologie d’urgence n’étaient pas conçues pour les conflits armés. « Nous devions nous interroger sur la meilleure adaptation possible des approches existantes aux besoins en l’Ukraine », explique Damaris Braun. Il fallait donc de l’expérience dans le travail avec les enfants en zones de conflit et une expertise dans le langage adapté aux enfants. Pour toutes les parties, l’interaction devait être empreinte de respect.

L’Ukraine possède un bon encadrement psychopédagogique, chaque école pouvant recourir à un psychologue scolaire. Ces spécialistes aident aussi le corps enseignant. Or, les huit millions de personnes déplacées sur le territoire et le risque de guerre qui couvait déjà depuis un certain temps pèsent lourdement sur les enseignants et les services de psychologie. En effet, des questions primordiales se posent, entre autres : comment organiser un cours lorsque la classe doit se rendre dans un abri antiaérien ; ou : comment gérer les angoisses des écoliers lors d’une alerte à la bombe ?

La série pilote a démarré dès juin 2022 et comptait 35 participants, la deuxième formation a commencé à l’automne 2022. La demande était considérable. Les collègues d’Ukraine ont fait forte impression sur Damaris Braun, « en particulier, par leur volonté d’apprendre et de s’investir dans une formation, en parallèle d’un quotidien difficile et pesant. » Un tel projet n’aurait pu se réaliser sans un engagement bénévole. Les exercices et les supervisions de psychologie d’urgence, plusieurs heures en ligne, sont prenants des deux côtés et nécessitent les services d’interprètes en ukrainien.

La psychologie d’urgence intervient généralement lorsque l’on peut assurer la sécurité physique, ce qui n’est pas possible dans une région en guerre. « L’expérience acquise dans d’autres régions en crise montre que, dans de telles circonstances, les mères ne peuvent plus jouer avec leurs enfants et que l’interaction entre les parents et eux est altérée. », déclare Damaris Braun. Par conséquent, il est essentiel de savoir procurer un sentiment d’attachement et de stabilité aux enfants et aux adolescents. L’école assume un rôle important, à commencer par les informations qu’elle transmet sur ce qui est normal dans une situation hors norme et sur les principes que le corps enseignant peut appliquer pour instaurer un climat de sécurité.

Damaris Braun est particulièrement touchée par la gratitude qu’expriment les participants. Elle constate que le projet renforce les ressources rien que par son existence et parce qu’il permet l’échange et la reconnaissance de la situation. Par-delà les formations et les cours de perfectionnement, le projet cherche à atteindre le plus d’enseignants possible. Lors d’une conférence organisée pendant la dernière semaine de mars, plus de 300 spécialistes d’Ukraine ont participé en ligne.

Pour l’heure, les fonds nécessaires pour poursuivre ce projet, soutenu jusque-là par la Société allemande pour la coopération internationale (GIZ) et la fondation AETAS, ne sont pas encore réunis. Toutes les parties prenantes espèrent que le financement de la prochaine série de formations, qui devrait commencer à l’automne 2023, pourra être assuré car, comme le constate Damaris Braun, « le besoin est énorme. »

Vous trouverez ici de plus amples informations sur le projet et ses responsables en Ukraine et en Allemagne.

Comment procède un careteam en cas d’urgence ?

Se mobiliser rapidement, c’est une chose ; faire comprendre rapidement la situation à une personne affectée est une autre paire de manches. Regula Lanz, psychologue d’urgence et responsable des formations chez Carelink, a entrepris d’expliquer les interventions des careteams pour Penso, la revue alémanique pour les spécialistes en RH, assurances sociales et prévoyance professionnelle. Voici la synthèse.

Lorsque les médias couvrent un accident grave, ils précisent souvent qu’un careteam a été mobilisé. Mais que fait une telle équipe sur place, lorsqu’elle est confrontée à un évènement hors norme ?

La réactivité pèse autant qu’une organisation professionnelle. Ce constat amène de grandes entreprises comme les CFF ou des compagnies aériennes à former du personnel capable de fournir une assistance en cas d’urgence. Mais la plupart des entreprises recourent à des organisations professionnelles comme Carelink. L’assistance psychosociale fait partie d’un plan d’urgence et de gestion de crise plus large.

Regula Lanz explique que parmi les situations d’urgence pouvant survenir en entreprise figurent les accidents, les braquages et les suicides. Ces évènements ébranlent les personnes affectées autant que les carambolages, les attentats terroristes ou les accidents d’avion, souvent relayés à grand bruit par les médias.

La mission du careteam, quelle que soit l’ampleur de l’incident, reste fondamentalement la même : une analyse sur place afin de pouvoir conseiller le client et coordonner les prestations d’assistance avec lui. Le but premier est de soulager les personnes affectées et de restaurer leur auto-efficacité. Souvent, les réactions d’individus soumis à un stress extrême sont complètement imprévisibles et constituent un réel défi.

« Nous les aidons à retrouver une structure, un sentiment de sécurité et leur calme », explique Regula Lanz. Il faut donc leur fournir une espèce de fil conducteur à travers cette situation hors norme, c’est-à-dire les moyens de comprendre ce qui est arrivé. Un entretien sur l’incident et les procédures prévues peut réduire leur agitation et leur permettre peu à peu de surmonter leur vécu. « Parler de ce qui est survenu peut calmer les personnes affectées », explique Regula Lanz. Le careteam entreprend toujours ce qu’il faut pour qu’elles soient à même de prendre des décisions autonomes.

L’enjeu est de leur éviter, à terme, des troubles de stress post-traumatique, des angoisses, des comportements addictifs ou des dépressions. Dans cette perspective, chaque assistance psychologique d’urgence fait l’objet d’un rappel de suivi (call back). Si la personne affectée se plaint de problèmes persistants comme des troubles du sommeil, un accompagnement thérapeutique s’impose. Toutefois, ce dernier n’entre plus dans le cadre de la psychologie d’urgence, mais Carelink propose volontiers des contacts correspondants.

Vous trouverez l’article complet et des recommandations pratiques sur l’intervention des careteams dans l’édition 02/2023 et ici.

Soutien psychosocial pour faciliter la réintégration après une lourde épreuve ? Eric Sigrist connaît les deux domaines.

Eric Sigrist pense que la confiance est le fondement d’un bon entretien et que « souvent, il ne faut pas grand-chose ». Pour ses missions de caregiver, il peut mettre à profit sa profession de spécialiste en réintégration. Inversement, l’expérience acquise dans l’encadrement de personnes traumatisées enrichit son travail quotidien.

Pourquoi un spécialiste de la réintégration comme toi s’engage-t-il comme caregiver ?

Je travaille dans l’intégration professionnelle depuis 25 ans. Dans ce contexte, je rencontre souvent des personnes secouées par le destin et qui ont du mal à surmonter l’épreuve. En tant que caregiver, mon objectif est de soulager les personnes affectées directement après l’évènement.

Qu’est-ce qui distingue ton travail quotidien de tes interventions comme caregiver ?

La situation est différente et, par conséquent, demande une autre démarche. En tant que caregiver, je me retrouve de plain-pied dans un drame tandis que le processus de réintégration survient un certain temps après un évènement potentiellement traumatisant.

Quels sont les défis particuliers ?

En tant que caregiver, je dois très vite établir une solide relation de confiance où les personnes affectées se sentent prises au sérieux et s’ouvrent au dialogue. La confiance est indispensable pour motiver quelqu’un à parler de son vécu et pour aboutir à un bon dialogue.

Ton expérience en réintégration est-elle utile dans ces cas ?

Oui, car dans ce processus, je suis parfois confronté à des personnes qui souffrent encore. Elles ne se sentent pas bien, leur santé psychique est atteinte même si l’évènement éprouvant remonte déjà à un certain temps. Il est alors essentiel de développer leur auto-efficacité et leur assurance.

Y a-t-il une lacune entre l’intervention du caregiver et la réinsertion ?

La réaction d’un individu à une situation éprouvante dépend de sa résilience. Son entourage est important, mais le soutien par les psychiatres, les psychologues et les employeurs l’est aussi. Beaucoup ignorent que l’AI propose des mesures de réintégration professionnelle. Malheureusement, certains employeurs optent pour un licenciement parce qu’ils préfèrent avoir des employés pleinement performants.

Quel défi représente la réintégration en cas d’affection psychique ?

Contrairement à une atteinte physique, une affection psychique n’est pas visible de prime abord. Ce fait rend l’intégration d’une personne plus difficile pour les employeurs. Partant, la manière dont la personne concernée gère sa propre situation de santé pèsera également.

Faudrait-il davantage de compréhension pour les défis de l’intégration professionnelle ?

Avec les employeurs, je discute de la situation à laquelle ils doivent s’attendre et des possibles défis à gérer. Les aspects essentiels tournent autour de ce qui peut être mis en place ou non au travail.

Qu’est-ce qui te permet d’intervenir en tant que caregiver ?

L’enjeu est de redonner un sentiment de sécurité et des repères aux gens tout en abordant les perspectives d’avenir avec confiance. On me dit souvent que je respire le calme. Or, en tant que caregiver, il faut pouvoir transmettre de la sérénité ou, du moins, essayer d’en générer. De plus, il faut être complètement ouvert. Le travail des caregivers est très axé sur les ressources et la réhabilitation. Là, il est utile de pouvoir créer un lien de confiance très rapidement.

Tu as écrit un livre sur l’instauration de la confiance. Comment y parvient-on ?

Lors de l’encadrement et des conseils, je m’attache à aborder les gens dans un esprit ouvert. Je souhaite qu’ils sentent que je cherche le dialogue sans idées préconçues. Ainsi, un espace de sécurité se crée dans lequel les émotions et les sentiments de honte peuvent s’exprimer. La confiance naît d’une mosaïque de petites choses.

Et pour finir : que t’apporte la tâche de caregiver ?

Je ne me demande pas ce qu’elle m’apporte, mais où je peux offrir un soutien et un soulagement dans une situation difficile. Lors de ma première intervention, j’ai discuté avec deux hommes. Au terme des entretiens d’une demi-heure avec chacun, empreints d’intérêt sincère, d’écoute active et d’empathie, ils m’ont dit que la possibilité « d’en parler » avait été un soulagement et leur avait fait du bien. Ce constat a été une révélation pour moi : parfois, il ne faut pas grand-chose.

 

Depuis 25 ans, Eric Sigrist travaille dans l’intégration professionnelle, actuellement auprès de l’assurance-invalidité. Il est à la fois conseiller d’orientation et de carrière et spécialiste de la réinsertion. Auteur, il s’est penché sur l’instauration de la confiance et la gestion relationnelle dans le conseil psychosocial. En 2018, il a rejoint l’équipe des caregivers de Carelink et, depuis l’été 2022, il intervient comme teamleader.

Comment prendre soin de soi ? Andi Zemp donne des pistes.

Les personnes qui exercent une fonction dirigeante doivent aussi se gérer. Elles le font en restant fidèles à elles-mêmes et en veillant à une vie équilibrée. Mais comment ? Andi Zemp* partage quelques réflexions aussi simples que logiques.

Passez-moi une question banale, M. Zemp, mais existe-t-il une recette qui permette aux cadres dirigeants de prendre soin d’eux et de veiller à leur bien-être ?

Andi Zemp : Indépendamment de la position hiérarchique, chaque personne devrait apprendre à veiller à son bien-être psychique. Il faut, entre autres, un moyen de compenser le travail et, à en croire mon expérience, il s’agit davantage d’un équilibre entre tension et détente que de la conciliation des vies privée et professionnelle. Qui sait lâcher prise pendant son temps libre supporte mieux le stress au travail. A contrario, le travail devrait rétablir un certain équilibre lorsque la situation privée est affectée, par exemple par des tensions au sein du couple ou un besoin intense de soins ((de santé)) pour un membre de la famille.

Les cadres peuvent-ils vraiment être détendus au travail ?

Andi Zemp : Soyons réalistes : beaucoup de cadres ont des phases de travail moins intenses où ils ont bel et bien la possibilité de souffler. Dans tous les cas, ils sont mieux à même de réguler leur charge de travail et de déléguer des tâches. Chez les collaborateurs, ce n’est pas possible ou du moins pas dans la même mesure.

Et si ces responsables sont à leur tour soumis à une hiérarchie ? C’est souvent le cas à l’échelon des cadres moyens.

Andi Zemp : Il faut avouer que ces positions en sandwich sont les plus difficiles, car elles sont soumises aux exigences des deux côtés de la hiérarchie, sans compter les attentes parfois excessives des cadres envers eux-mêmes.

Et comment gérer une telle pression ?

Andi Zemp : En principe, les personnes qui gèrent le mieux la pression, les exigences, les attentes et le stress sont celles qui connaissent leurs besoins et leur accordent une place. Concrètement, il faut distinguer la personne et la fonction : en tant qu’individu, j’ai besoin d’espace et j’accomplis mon travail à ma façon. Je suis une personne unique et, contrairement à ce que l’on raconte, irremplaçable. En revanche, quelqu’un d’autre peut tout à fait remplir ma fonction.

Mais il faut une saine assurance pour arborer une telle attitude.

Andi Zemp : Oui, la confiance est bien utile. Si l’on ne possède pas cette qualité, on peut tout à fait la développer.

Beaucoup de personnes tirent leur assurance de leur seul travail. L’activité professionnelle ne doit pas être l’unique source de valorisation, car, fondamentalement, l’estime de soi n’est pas liée à la performance. Prenons un simple exemple de la vie privée : lorsqu’on n’aime pas une personne, ce n’est pas parce qu’elle cuisine merveilleusement, mais à cause de sa personnalité. À la naissance, nous sommes tous des originaux, des êtres uniques. Chez certaines personnes, j’ai l’impression que, consciemment ou non, elles mettent beaucoup en œuvre pour finir en copie conforme. Or, nous devrions rester centrés en nous-mêmes, rester des originaux. C’est à la fois une attente((incitation ?)) et un défi.

Et si quelqu’un n’y parvient pas seul ?

Andi Zemp : Pour ces cas, il existe des offres d’aide sans qu’il faille nécessairement passer par un psychothérapeute ou une psychologue. Je connais par exemple un cadre qui fait de la thérapie corporelle tous les 15 jours. Les séances lui permettent de remarquer rapidement s’il est en phase avec lui-même et s’il est capable de lâcher prise. Le stress passe des œillères à l’individu et le prive de toute possibilité de se relâcher. En revanche, lorsque la personne se fait plaisir, qu’elle prend soin d’elle et qu’elle se change les idées, elle permet à ses sens de s’épanouir.

Beaucoup font du jogging !

Andi Zemp : L’activité physique est toujours une bonne chose. Cependant, le jogging peut vite se transformer en compétition lorsqu’on court contre la montre. Or, quand on évolue déjà dans un système empreint de compétition et de stress, ce n’est pas bénéfique. L’erreur est assez commune. Le corps ne distingue pas entre le stress positif et sa version négative. Il se met à produire les hormones du stress. Et, contrairement à une erreur communément répandue, le stress positif peut aussi affecter le psychisme.

En conclusion, le premier grand pas pour prendre soin de soi est de s’écouter et de s’apprécier.

*Andi Zemp : Absolument ! Les enquêtes auprès du personnel montrent que, souvent, beaucoup se plaignent d’un manque d’estime. Et les responsables hiérarchiques comprennent rarement ce retour. Tous deux, responsable et collaborateur, doivent apprendre à faire la part des choses : le l’estime se dirige vers la personne tandis que les louanges concernent le travail. Dans un cas extrême, je peux louer une personne sans l’apprécier pour autant. L’estime commence chez soi-même.

Andi Zemp est psychologue, psychologue d’urgence et psychothérapeute FSP reconnu au niveau fédéral. Il a son propre cabinet de psychothérapie à Berne et travaille comme psychologue-conseil pour différentes entreprises et organisations. En 2005, il a rejoint l’équipe des bénévoles de Carelink. De plus, il enseigne la psychologie d’urgence pour « Care & Peer Practice » (CPP), une formation que Carelink organise et coordonne pour le Service sanitaire coordonné (SSC).

Ukraine : offres de soutien en Suisse.

Le Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre, géré par la Croix-Rouge suisse (CRS) à Wabern, près de Berne, estime qu’il traitera aussi des personnes venues d’Ukraine. Dans l’interview, Silvan Holzer, qui dirige le service pour les troubles post-traumatiques de l’enfance et de l’adolescence, fournit aussi des conseils comportementaux aux familles d’accueil.

Monsieur Holzer, vous pensez que des réfugiés d’Ukraine viendront chercher de l’aide auprès de vous.

Silvan Holzer : Oui, nous devons malheureusement partir du principe que ces ressortissants, quel que soit leur âge, ont été confrontés à des situations dépassant les stratégies d’adaptation individuelles et familiales. Il faut s’attendre à ce que ces personnes développent des troubles post-traumatiques.

 

Les défis sont-ils les mêmes que pour les autres victimes de guerre ?

Silvan Holzer : Notre soutien dépendra de ce que les personnes que nous conseillerons ont vécu à titre individuel et comment elles y réagissent. Toutefois, nous ne pouvons anticiper l’effet du statut de protection S, appliqué pour la première fois. Nous escomptons que pour les personnes l’ayant obtenu, il atténuera le stress après la fuite ; mais qu’en sera-t-il de celles qui n’en bénéficient pas ?

 

En Suisse, nous rencontrerons aussi des personnes venant d’Ukraine. Existe-t-il des conseils pour aborder ces réfugiés traumatisés ?

Silvan Holzer : Il n’existe pas « le réfugié d’Ukraine » et encore moins de recette miracle pour les relations avec les « réfugiés ». Chaque enfant, chaque adulte, chaque famille est unique et connaît des besoins différents. Mais ils partagent un besoin : d’avoir des interlocuteurs valorisants et émotionnellement stables et de trouver la sécurité et des structures claires. Une telle rencontre demande du temps, de la patience et de la compréhension. Pas de traitement spécial, ni de pitié, mais de l’empathie et de la compassion.

Montrer de l’intérêt pour l’enfant et pour sa vie ; acceptez qu’il s’exprime comme il le sent et que, soudain, il puisse vouloir jouer. Ne cherchez pas à creuser les sujets abordés. Agissez en témoin et positionnez-vous clairement contre toute forme de violence. Si vous vous sentez sûrs de vous et compétents – sinon renoncez-y – vous pouvez demander ce qui l’a aidé à survivre au sens large du terme.

Le rétablissement rapide d’une normalité routinière, qui implique aussi une structure scolaire, est essentiel pour les enfants. Cette dernière devrait apporter de la normalité sans trop de marge de décision, car elle pourrait les submerger même si l’intention est bonne. L’école peut rapidement devenir un endroit sûr, où tous les enfants ont les mêmes droits et les mêmes obligations et où règne une culture de tolérance zéro face à la discrimination et la violence.

Nous devons être conscients que les personnes venues d’Ukraine ne pourront pas laisser à la frontière suisse leurs préoccupations, craintes et sentiments d’impuissance. Elles continueront de s’inquiéter pour la famille, les proches et les amis qui leur sont chers et qui sont restés au pays. Elles voudront s’informer par les médias. Or, la guerre risque d’être omniprésente. Dans toute la mesure du possible, il sera utile de prévoir des laps de temps sans accès aux médias. Protégez les enfants des images montrant la guerre sans pour autant éluder le sujet. Il est recommandé de tenir compte du développement de l’enfant lorsque l’on aborde ce point et de répondre à ses questions de manière brève et claire. Il est également utile que les parents, notamment les mères, parviennent à expliquer des sentiments forts, par exemple l’affliction d’un deuil, comme étant des réactions normales qui s’atténueront. Les enfants savent ainsi que leur curiosité a sa place, qu’ils ne doivent pas s’inquiéter pour leurs parents ni avoir peur de les perdre, mais qu’ils pourront compter sur eux.

 

Informations utiles:
Brochures
– Apprendre, comprendre, agir de façon réfléchie, brochure d’information destinée aux collaborateurs rémunérés et bénévoles intervenant auprès de réfugiés traumatisés Croix-Rouge suisse (https://www.migesplus.ch/fr/publications/apprendre-comprendre-agir)

Une adresse pour les personnes d’Ukraine également

Les personnes ayant souffert de la guerre ou pendant leur fuite bénéficient d’une aide psychothérapeutique au Service ambulatoire CRS de Wabern, près de Berne. Ce service de la Croix-Rouge suisse, prévu pour les victimes de la torture et de la guerre, s’occupera probablement aussi des personnes traumatisées en provenance d’Ukraine. Carelink s’est entretenue avec Silvan Holzer, qui dirige le service pour les troubles post-traumatiques de l’enfance et de l’adolescence.

Monsieur Holzer, d’où viennent les personnes que vous accueillez ?

Silvan Holzer: Nous traitons les gens indépendamment de leur origine, ethnie ou titre de séjour. Ce sont des enfants, des mineurs non accompagnés, des adultes et leurs familles qui ont développé des troubles psychiques en raison d’un traumatisme subi dans leur pays, pendant leur fuite ou en raison du stress migratoire.

Notre équipe interprofessionnelle se compose de spécialistes formés en médecine et en psychologie ainsi que de travailleurs sociaux. L’année passée, nous avons proposé à 214 personnes un conseil thérapeutique et social centré sur les traumatismes. Si les pays d’origine étaient principalement la Syrie, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, la Turquie, le Sri Lanka et les pays d’Afrique orientale comme l’Érythrée et la Somalie, l’accent pourrait se déplacer cette année sur le conflit armé en Ukraine.

 

Comment communiquez-vous ?

Silvan Holzer : Il importe que ces personnes puissent exprimer leurs sentiments, préoccupations et craintes dans leur langue maternelle. À cette fin, deux entretiens sur trois sont menés sous forme de trialogue, avec l’appui d’interprètes communautaires. Sans eux, une grande partie de notre travail ne pourrait se faire. Pour moi, leur soutien représente un grand enrichissement, à la fois professionnel et personnel. Ils nous permettent d’aider ces personnes qui, on ne le comprend que trop bien, sont réservées et prudentes, à reprendre pied et à développer une perspective d’avenir.

La guerre et la fuite déclenchent toujours un traumatisme ?

Silvan Holzer : Les facteurs comme les antécédents, la force intérieure pour rebondir ainsi que les ressources de l’entourage déterminent, entre autres, si une personne développe ou non un trouble post-traumatique après un tel vécu. Il n’existe pas de lien de cause à effet entre la guerre, la fuite et un traumatisme. Mais la probabilité augmente avec le nombre d’expositions à une situation traumatisante. Les enfants sont particulièrement vulnérables parce qu’ils se trouvent en plein développement et qu’il existe un lien existentiel avec leurs personnes de référence. Non traitées, les séquelles d’un traumatisme subi pendant la prime enfance peuvent peser toute la vie durant.

 

De quelles maladies s’agit-il ?

Silvan Holzer : Concernant le trouble de stress post-traumatique, nous distinguons la manifestation classique (TSPT) et la variante complexe (TSPTc). Pour la première, qui a fait l’objet de recherches nettement plus poussées, nous disposons de différentes réponses thérapeutiques. Bien étayées sur le plan scientifique, ces procédures permettent de traiter relativement bien un monotraumatisme, c’est-à-dire une seule expérience submergeante et, souvent, d’escompter un pronostic favorable.

Au Service ambulatoire CRS, les patients présentent souvent, quant à eux, le tableau clinique d’un TSPT complexe. Ils souffrent non seulement de TSPT, mais éprouvent aussi des difficultés à gérer des sentiments éprouvants ou désagréables comme la colère ou le deuil, une image négative d’eux-mêmes ou encore des problèmes dans la construction relationnelle. Non traité, un trauma complexe comporte un risque élevé de chronicisation et affecte tous les domaines de la vie.

 

Comment se manifeste un TSPT complexe dans la vie quotidienne ? Avez-vous un exemple ?

Silvan Holzer : Les enfants et les adolescents affectés par un TSPT complexe éprouvent, par exemple, nettement plus souvent des difficultés à apprendre. Leurs progrès sont lents, voire à peine possibles, et ils retiennent moins bien les contenus. L’interaction avec les enseignants et le contact avec leurs pairs en sont également affectés. Une petite Syrienne de neuf ans m’a expliqué qu’il valait mieux renoncer à de nouvelles amitiés puisque, de toute manière, soit elles se perdent soit les personnes disparaissent. Une telle souffrance ne cesse pas forcément lorsque la personne arrive en Suisse.

 

Quel soutien, en plus de la thérapie, peut s’avérer utile ?

Silvan Holzer : Les personnes ont besoin d’un lieu de retrait sûr et protégé, où elles ne seront pas dérangées, de participer à la vie sociale dans une structure journalière sensée et de retrouver le cadre le plus normal possible. Les enfants, eux, ont besoin d’offres scolaires, ainsi que des possibilités régulières de loisirs intégrées dans leur structure hebdomadaire. Il est tout aussi essentiel qu’ils aient des moments d’insouciance, pour jouer et s’amuser. Les adolescents ont besoin de soutien pour développer des perspectives d’avenir réalistes, un aspect crucial à cet âge.

Dans ce contexte, des personnes de référence fiables sont indispensables. Outre la transmission de connaissances, la thérapie corporelle et le traitement pharmacologique, notre conseil social est un élément de stabilisation psychique pour nos patients.

 

Comment impliquez-vous les proches dans la thérapie ?

Silvan Holzer : Les personnes de référence primaires ont réussi à fuir, souvent d’une manière absolument incroyable, parce que l’espoir d’offrir à leurs enfants un avenir pacifique et de bonnes chances leur a insufflé la force nécessaire. Vous imaginez bien que ces parents peuvent douter de leur décision ou qu’ils sont en prise avec des sentiments de culpabilité et de honte. Bien sûr, ils sont eux-mêmes affectés par les événements et en souffrent peut-être. En même temps, ils connaissent le mieux la biographie et la personnalité de leurs enfants et peuvent nous signaler les changements. C’est pourquoi nous associons les parents à la thérapie, dès le tout début. Pour toute coopération, question et recommandation, nous misons sur la transparence vis-à-vis des personnes de référence primaires et des représentants légaux. Nous voulons consolider les parents dans toute la mesure du possible afin qu’ils soient ou redeviennent des phares fiables pour « leurs petits marins », comme les appelait affectueusement la psychotraumatologue et auteure Tita Kern.

Nous vous recommandons de poursuivre votre lecture, surtout si vous avez accueilli des personnes d’Ukraine ou prévoyez de le faire. Silvan Holzer partage des règles de comportement : Ukraine : offres de soutien en Suisse.

« Le verre devrait toujours être à moitié plein » Prof. Ulrike Ehlert au sujet du stress et de la résilience.

Un phénomène répandu parmi les guides de montagne suisses ? Alors que plus de 80 % ont vécu des situations pesantes, moins de 2 % en souffrent. La prof. Ulrike Ehlert de l’université de Zurich peut étayer ces chiffres scientifiquement. Et comment s’expliquent-ils ? Lors de la conférence Carelink, elle a apporté des réponses.

La fameuse image du verre à moitié plein : en tout cas selon elle. À ses yeux, il est tout aussi évident pourquoi les hommes sont plus souvent en surpoids que les femmes, lesquelles tendent davantage à la dépression. En bref et à l’emporte-pièce : ils savent mieux apprécier la vie. C’est la lecture que la prof. Ulrike Ehlert, à la tête de l’Institut psychologique de l’Université de Zurich, fait des chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique.

Cohérence

D’où nous vient la capacité de rester optimiste et positif, même en cas de revers ? Ulrike Ehlert parle de « cohérence », notamment en pensant aux guides de montagne suisses, objets de l’étude et qui restent en bonne santé malgré les situations stressantes. Les personnes possédant un sentiment marqué de cohérence abordent les situations difficiles, voire traumatisantes, comme un défi ; elles y cherchent un sens profond, autrement dit la cohérence, et activent les mécanismes défiant l’adversité.

L’aptitude à reconnaître les sentiments qui nous bouleversent lors de situations difficiles semble également constituer un facteur de protection. Selon une étude menée auprès de sapeurs-pompiers, les personnes qui ont parlé de la situation pesante en ont le moins souffert. Par conséquent, l’image de l’homme solide qui règle tout en son for intérieur est absolument erronée.

Régulation émotionnelle, optimisme…

Un autre facteur intervient dans la résistance à l’adversité : la régulation émotionnelle hédoniste. Ulrike Ehlert utilise ce terme pour désigner l’aptitude à endiguer une humeur négative, en d’autres termes, à conserver une attitude fondamentalement positive. Qui arrive à conserver une pression artérielle normale en situation de stress, ce qu’on appelle communément « garder son sang-froid », se donne une marge pour la régulation émotionnelle et, à terme, une meilleure santé psychique.

L’optimiste serait-il finalement un élixir de vie ? Une étude néerlandaise a montré que l’optimisme avait bel et bien influencé la durée de survie d’environ 2500 personnes atteintes du cancer.

… et résilience

Bill Hatfield, un Australien de 81 ans, a bouclé le tour du monde à la voile en solitaire, sans escale, sans assistance et contre le vent. Pour le Géorgien Lewan Berdsenschwili, les années passées dans le goulag soviétique étaient les meilleures de sa vie : « Il est rare de trouver une telle concentration de formidables personnalités. »

Quels sont les points communs de personnes comme Bill Hatfield et Lewan Berdsenschwili ? D’où tirent-elles leur résistance psychique, leur résilience ? Ulrike Ehlert a décelé sept aptitudes : l’auto-efficacité, qui naît de la confiance en soi ; l’autocontrôle, qui permet de contrer les sentiments négatifs ; la capacité à donner et à recevoir de l’aide ; l’aptitude à apprendre des revers et des erreurs ; la faculté à travailler sur ses problèmes ; l’empathie envers soi-même et, enfin, la capacité à rester serein.

« Nous pouvons nous protéger, même lorsque nous sommes confrontés à des situations pesantes, voire traumatisantes », déclare Ulrike Ehlert avant d’expliquer qu’il est essentiel de reconnaître les sentiments en jeu et que la régulation émotionnelle hédoniste agit sur le stress. L’optimisme, le soutien social et la propre résilience constituent les autres aspects qui permettent de se maintenir en bonne santé psychique.

Il ne faudrait pas banaliser les incidents. Dr Johanna Gerngroß aborde la gestion de crise psychologique.

Inévitablement, lorsqu’une ou plusieurs personnes au sein d’une entreprise sont confrontées à une situation éprouvante, la gestion de crise psychologique entre en action. Lors de la conférence, DJohanna Gerngroß* a montré ce qu’il faut à une entreprise pour une gestion de crise efficace.

Ses raisons sont dictées par des considérations rationnelles : même avec la meilleure volonté du monde, l’employée de banque ne peut répondre à la demande du client. Ce dernier se met alors en colère et commence à proférer des menaces : « Je sais dans quelle école va ta fille ! » L’employée signale l’incident, sans pour autant obtenir d’aide psychologique de la part de la banque. Peu après, elle ne peut plus travailler et est portée malade.

Après une situation menaçante, les personnes touchées ont le sentiment que les possibilités de la gérer leur font cruellement défaut. C’est ainsi que les spécialistes déterminent un traumatisme psychologique. Johanna Gerngroß rapporte les descriptions souvent faites par les personnes affectées : elles se sentent comme paralysées et parlent d’autres symptômes comme le sentiment d’impuissance et d’être sans défense. La spécialiste commente : « Cette situation peut durablement ébranler la perception de soi et du monde. »

C’est là qu’intervient la gestion de crise psychologique, à la fois sur le plan individuel et organisationnel. Selon l’évènement, il faudra aussi encadrer les responsables hiérarchiques.

Reconnaître au lieu de rejeter

Il est bon que la personne traumatisée s’ouvre relativement vite aux personnes de confiance ? De même, il est essentiel qu’elle soit capable de solliciter de l’aide de son propre fait, sans oublier l’importance d’un entourage qui l’aide à aborder le traumatisme et à le surmonter au niveau individuel.

« Par conséquent, la réaction des responsables hiérarchiques et des collègues après l’évènement sera importante : approcheront-ils la personne affectée et si oui, comment ? », pose Johanna Gerngroß. « Le fait de reconnaître ce que la personne a vécu peut déjà s’avérer bénéfique. »

Or, elle constate assez souvent des réactions de défense : « L’incident est banalisé, des accusations sont portées contre la victime, on raconte qu’elle est vulnérable, voire dépassée par sa situation. » Alors que l’objectif premier serait que la personne traumatisée se remettent au plus vite et de manière durable afin qu’elle puisse reprendre son travail.

De l’importance d’une communication claire

Sur le plan individuel, Johanna Gerngroß plaide en faveur d’une prise en charge et de conseils de proximité : les interventions de psychologues d’urgence soutiennent et stimulant le processus de récupération tandis que l’accompagnement psychosocial aide à réintégrer le travail.

Sur le plan de l’organisation, Johanna Gerngroß inscrit cette prestation dans le soulagement et la stabilisation des personnes ou des groupes affectés. Les personnes indirectement concernées peuvent, elles aussi, se sentir affectées par un évènement. De plus, Johanna Gerngroß attire l’attention sur le coaching pour les cadres dirigeants, sur la nécessité d’endiguer les rumeurs et les accusations mutuelles par une communication interne et externe claire.

Parlant de cadres dirigeants : lorsqu’ils se trouvent sous le choc, en d’autres termes, qu’ils sont eux aussi affectées par l’évènement, ils ne devraient pas prendre de décisions sous la fausse impression d’être en possession de leurs moyens et souvent, en plus, sous la pression du temps. Dans ce cas, le soutien externe ne peut accomplir de miracles mais peut montrer la voie et soulager.

 

* Dr Johanna Gerngroß est maître de conférences à l’Université privée Sigmund-Freud de Vienne ainsi qu’à l’Université Leopold-Franzens d’Innsbruck. Anciennement à la tête de la gestion de crise des Chemins de fer autrichiens (ÖBB), elle est aujourd’hui directrice du Commitment Institut, qui propose, entre autres, des prestations de gestion de crise et de coaching psychologique. De plus, elle assure le service de piquet technique pour le suivi des forces d’intervention de l’association des sapeurs-pompiers du Tyrol.

Donner un visage au traumatisme. Mathias Braschler et Monika Fischer ont réalisé des portraits de victimes d’attentats.

Utøya, Bataclan à Paris, Breitscheidplatz à Berlin : des noms indélébiles. Mais qui pense aux survivants de ces attentats ? Le couple de photographes Mathias Braschler et Monika Fischer ont réalisé des portraits de certains. Leurs reportages et leurs photographies ont suscité de profondes émotions lors de la conférence Carelink.

Ancien photographe de presse, il se rendait sur place, brandissait son appareil et, d’un clic, saisissait l’évènement. « Au fond, ce n’était pas mon instinct premier », avoue-t-il sans ambages lors de l’entretien personnel. C’est ce qui explique sa reconversion dans les portraits. Cette forme de photographie permet la profondeur, la réflexion et l’empathie.

Nous nous intéressons aux personnes

Monika Fischer et lui se connaissent déjà depuis plus de 30 ans et leur coopération remonte à 18 ans : « Nous nous intéressons aux personnes et aux sujets qui les touchent actuellement », déclare Mathias Braschler. « Mais ce n’est pas une mince affaire de les approcher », ajoute Monika Fischer. « Nos méthodes de recherche et nos stratégies changent souvent, et les travaux peuvent prendre des mois.»

Lors d’entretiens, tous deux essaient d’amener les personnes interviewées à s’ouvrir à leurs émotions. Et c’est le moment où, dans un climat de confiance et d’ouverture, ils commencent à photographier et à filmer. Les clichés et les vidéos prennent une dimension qui échappe à une description rationnelle.

De la vie après la survie

« Nous nous tournons toujours vers des sujets difficiles », explique Monika Fischer. Leurs portraits de personnes ayant survécu à un attentat ont été publiés dans le Guardian, un quotidien anglais, le Stern, un hebdomadaire allemand, et le magazine suisse du Tages-Anzeiger. Lors de la conférence Carelink, ils ont parlé de ces « rescapés » et de leur vie après la survie. Comme le récit de cette femme, qui, en 2011, s’est sauvée à la nage de l’île d’Utøya pour échapper à la fusillade d’Anders Bering Breivik. Entre-temps, elle a donné naissance à deux enfants. Monika Fischer rapporte que, jusqu’en salle d’accouchement, elle avait l’image de Breivik devant les yeux – comme par bravade.

Un homme et une femme qui, en 2015, ont survécu à la tuerie perpétrée au Bataclan, la mythique salle de concert parisienne, se sont rapprochés dans la clinique de réadaptation où ils se remettaient de leurs blessures par balles. Toujours en couple aujourd’hui, ils s’entendent à plusieurs niveaux, notamment parce qu’ils ont tous deux vécu la même terreur.

Le terroriste n’a pas gagné

« L’agresseur ne m’a pas détruit, ni les choses que j’aime », dit un homme qui a perdu son ami Peter sur la Breitscheidplatz à Berlin. Ils riaient en buvant un vin chaud lorsque le terroriste islamiste a lancé son camion-bélier dans la foule. Dans la vidéo-interview tournée par Mathias Braschler et Monika Fischer, il témoigne du traumatisme qu’il a vécu, du deuil qu’il porte après la perte de son ami Peter, qui se tenait directement à côté de lui, de la dépression qui a suivi et, finalement, du sentiment de culpabilité qui taraude le survivant. Puis, un jour, le moment était venu de prendre une décision positive, en faveur de la vie : « J’essaie de rire à gorge déployée, comme le faisait Peter. »

La femme qui a échappé à l’attentat d’Utøya, le couple qui s’est rencontré après l’attaque au Bataclan, l’homme qui a repris courage après la mort violente de son ami au marché de Noël de Berlin : toutes ces personnes ont des noms. Mathias Braschler et Monika Fischer les connaissent par cœur. Ils maintiennent le contact avec de nombreuses personnes dont ils ont fait le portrait et vice-versa. Et Monika Fischer tire une conclusion aussi simple que puissante : « Ils ont fait preuve d’une grande résilience. »

Appeler ! Même au milieu de la nuit.

Les collaborateurs de la Croix-Rouge ont un numéro à portée de main.

De plus en plus courant : les entreprises et les organisations prennent une part active dans la santé psychique de leur personnel. La Croix-Rouge suisse (CRS) donne l’exemple : les personnes en mission à l’étranger peuvent appeler lorsqu’elles assistent à des situations traumatisantes. À n’importe quel moment.

Les personnes travaillant à l’étranger peuvent être confrontées à des images et des rencontres traumatisantes. La CRS, et tout particulièrement Kurt Buntschu, le directeur des ressources humaines, en est consciente. Aussi a-t-elle conclu un accord avec Carelink qui prévoit, pratiquement comme pièce maîtresse, une prestation téléphonique via un numéro 0848, facile à atteindre depuis l’étranger. « Une personne confrontée à une situation psychologiquement pesante, vue ou vécue dans le cadre de sa mission, peut appeler ce numéro pour obtenir un soutien professionnel de la part de Carelink ainsi qu’un accompagnement », explique Kurt Buntschu.
« À nos yeux, cette prestation mise à la disposition de nos collaborateurs est importante, car elle leur permet d’éviter des traumatismes et de préserver leur santé. » Ce service comprend un conseil et un accompagnement téléphoniques, qui peuvent s’étendre sur plusieurs entretiens. Il est gratuit pour les personnes qui appellent. Il va sans dire que leurs noms ne sont pas révélés à la CRS.

« Nous mobilisons immédiatement »
La CRS compte une trentaine de permanents à l’étranger et détache jusqu’à 50 personnes supplémentaires pour des missions humanitaires temporaires. Les deux groupes peuvent recourir à un soutien et des conseils psychologiques d’urgence ou de crise. Lors d’évènements hors norme en Suisse, les collaborateurs de la CRS basés à Berne, Wabern et Altdorf peuvent également compter sur un soutien. Carelink le propose en allemand, en français, en italien et en anglais. Sur demande, d’autres langues sont également disponibles.

« La personne qui appelle ce numéro a la garantie d’être entendue, quelle que soit l’heure », assure Walter Kälin, le directeur de Carelink. « Même en plein milieu de la nuit, nous mobilisons immédiatement les psychologues d’urgence. En effet, un échange avec un professionnel sur ce qui vient de se passer peut apporter un grand soulagement », poursuit Walter Kälin. Les entretiens visent à amener la personne traumatisée à activer ses propres ressources, qui lui permettront de renouer avec la normalité d’avant l’incident et, par-là, d’atténuer, voire d’éviter les séquelles à long terme.

Programme de débriefing
En outre, la CRS et Carelink ont élaboré et standardisé conjointement un programme de débriefing. Carelink contacte les collaborateurs de la Croix-Rouge environ une semaine après leur retour de la mission humanitaire pour débriefer leur intervention avec eux. Les délégués qui rentrent d’une mission de longue haleine peuvent également recourir à titre volontaire au débriefing psychologique de Carelink.

Ces entretiens ont, eux aussi, vocation à bien délimiter dans la vie des personnes concernées les situations survenues lors de l’intervention et potentiellement difficiles afin que la vie puisse reprendre sereinement son cours.