« Embrasse l’inattendu !» – Theo Wehner et la culture de l’échec

L’échec est une chance : le professeur émérite Theo Wehner plaide en faveur d’une culture qui admet l’échec, qui « s’attend à tout pour ainsi ne jamais être déçue ».

Pour son entrée en matière, fulminante, le professeur émérite cite Michel Foucault : « À la limite, la vie, c’est ce qui est capable d’erreur. » Dans son exposé sur l’échec, il montre le clivage entre les convictions personnelles et le comportement effectif. L’action peut être prédite, mais elle n’est pas prédéterminée. La différence entre l’objectif fixé et le point d’arrivée mène à des résultats inattendus.

Accepter l’insécurité permanente
L’individu doté des bonnes stratégies peut accepter cette insécurité. Tout dépend de sa situation, de son intérêt, des attentes en jeu et, finalement, de sa volonté. « Dans notre actuelle société de la connaissance, nous agissons dans une insécurité permanente », explique Theo Wehner. En acceptant l’insécurité comme un état normal, on reste plus souple face à l’imprévisible et on peut accepter la nouvelle situation plus rapidement.

Rebondir sur l’erreur
En entreprise, on parle d’un réel droit à l’erreur, une culture qui se manifeste avant tout par une attitude. D’emblée, il faut distinguer l’erreur (commise en dépit de ses aptitudes et connaissances) de la faute (relevant d’un manquement à des règles ou d’un défaut d’information). L’enjeu n’est pas de chercher les erreurs ou leurs auteurs, mais de comprendre en quoi cette action « erronée » était pertinente pour la personne concernée au moment de sa décision. Ce n’est qu’au prix d’une telle curiosité que les compétences se développent et qu’une évolution est possible.

« Embrasse l’inattendu » : tout est dit. La souplesse mentale qui permet de rester en phase avec une existence pavée d’erreurs et de décider en fonction de la situation contribue fortement au bien-être et, en fin de compte, à la réussite. Ou à l’échec…

Professeur émérite Theo Wehner, professeur de psychologie du travail et des organisations, EPFZ
Theo Wehner est professeur ordinaire de psychologie du travail et des organisations au Centre des sciences de l’organisation et du travail depuis octobre 1997, professeur émérite de l’EPF de Zurich et professeur invité à l’université de Brême depuis octobre 2015. Ses travaux scientifiques se concentrent sur la psychologique de l’erreur, le rapport entre expérience et savoir, l’action coopérative et la recherche psychologique sur la sécurité.

 

« Oui, cela vous concerne. » – Imke Knafla et le rôle des cadres lors d’une crise

Le Covid a laissé des traces, comme le montre une étude menée par l’université de Berne en 2022 : 30 % du personnel se sent assez, voire très épuisé. Chaque année, cet état coûte environ 6,5 milliards à l’économie suisse. La professeure Imke Knafla souligne toute l’importance des cadres dirigeants et le rôle qui leur incombe pour préserver la santé mentale de leurs équipes.

Les chiffres sont préoccupants : le poids psychique a augmenté chez les employés pendant la pandémie. Un tiers du personnel, et particulièrement la jeune génération des moins de 30 ans, se sent assez, voire très épuisée.

« Peu importe que la surcharge soit d’origine privée ou non. Par effet de débordement, la performance de travail finit tôt ou tard par être affectée », explique Imke Knafla. Il est donc essentiel que les entreprises et les cadres abordent le sujet et prennent des mesures. À commencer par l’attitude adéquate. En effet, qui attend des collaborateurs qu’ils acceptent un soutien, doit se pencher sur le sujet du surmenage au travail et sensibiliser en conséquence. « Le sujet du burnout largement couvert ces dernières années, a donné plus de visibilité à la surcharge psychique », ajoute-t-elle.

Considérer l’individu comme un tout
La prochaine étape consiste à former les cadres afin qu’ils puissent détecter les signes correspondants, les aborder et proposer un soutien. L’interaction avec des personnes surmenées exige toutefois de la patience et du doigté, car toutes n’en parlent pas ouvertement et n’acceptent pas d’aide. Les cadres devraient considérer une personne dans son ensemble, plutôt que de se concentrer uniquement sur le maintien de la performance au travail. Dans ce contexte il est également important de maintenir le contact avec les personnes concernées et de réitérer l’offre de soutien. Au besoin, il sera judicieux de faire appel à des spécialistes externes.

L’importance d’une réelle culture de la sollicitude
Selon Imke Knafla, les mesures prises aux échelons supérieurs sont également importantes : « Dans l’idéal, les entreprises établissent une culture qui amène les collaborateurs à s’adresser spontanément à leurs responsables. » Pour atteindre ce but, il faut une culture attentive (de sollicitude), un cadre salutogène et le bon exemple des cadres. C’est à ce prix uniquement que la confiance se met en place et prend un tour concret.
Alors, le résultat est réjouissant, car la culture de la sollicitude est un moteur de motivation pour les employés ; la fluctuation et l’absentéisme diminuent, ce qui finalement se répercute favorablement sur la prospérité de l’entreprise et sur les coûts au niveau macroéconomique.

 

Professeure Imke Knafla, directrice du Centre de psychologie clinique & de psychothérapie, ZHAW
La professeure est co-directrice du Centre de psychologie clinique & de psychothérapie à l’Institut de psychologie appliquée de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW). Titulaire d’un diplôme de psychothérapeute reconnu au niveau fédéral, spécialiste en coaching et en supervision, elle dirige le service de conseil psychologique de la ZHAW.

 

« La reconnaissance de l’autre est incomparablement précieuse » – Giovanni Maio s’exprime sur l’actuelle culture de la sollicitude

Selon lui, la rupture que provoque un évènement hors norme imprime une profonde vulnérabilité chez les personnes affectées, dont la vie se décline alors en un « avant » et un « après ». Le soutien et la sollicitude qu’elles obtiennent sont essentiels et passent par la bonne attitude.

Le professeur Giovanni Maio fait une entrée discrète. Puis, on peut littéralement le voir penser, lui qui s’est passé de support visuel pendant son exposé. Pendant 45 minutes, il entreprend de distiller l’essence de la sollicitude dans l’alambic de ses réflexions. Et d’entrer dans le vif du sujet, la crise. Elle survient sans signes avant-coureurs et provoque un sentiment d’impuissance. Elle accapare toute l’attention, s’empare des êtres humains et interrompt la vie et tous les éléments de son quotidien. Dans son sillage, la confiance originelle et la confiance générale s’en trouvent ébranlées, cédant la place à une impuissance à envisager l’avenir. Cette confrontation avec la vulnérabilité est hors norme et scinde désormais l’existence en un « avant » et un « après ».

Découpler radicalement la crise
Avant de plonger dans la sollicitude, comprise comme un acte volontaire, le professeur Maio explore les causes de cette vulnérabilité. L’individu dépend de son environnement. Il dépend non seulement de son intégrité physique, mais aussi de relations qui débouchent sur la reconnaissance de son « moi ». Or, l’existence de ce « moi » est limitée dans le temps, rendant omniprésente l’irrémédiable finitude de l’être humain. Une crise provoque non seulement une rupture de ces interdépendances et relations, mais aussi leur annihilation passagère.

Guérir par la sollicitude et la reconnaissance
La sollicitude active envers les personnes affectées peut guérir lorsqu’elle prend la « bonne » forme. Il s’agit surtout de les comprendre et de bien écouter, en plus d’une attitude ouverte et détachée de toute attente. « La sollicitude, c’est aussi comprendre ce dont l’autre a besoin, en faisant abstraction de ce que moi, qui pourvois cette sollicitude, je souhaiterais. » Ce soutien représente aussi un très bon fondement pour construire l’indispensable relation de confiance. Pour l’entretien qui suivra, il faudra souvent le plus grand doigté, afin que la personne affectée puisse surmonter sa honte et laisser son interlocuteur regarder au plus profond de son être. Ce dernier réagit de manière imperturbable et reste, confirmé et soutenu, aussi longtemps que son aide sera nécessaire. « Tu es quelqu’un de précieux », c’est le message véhiculé et qui permet de rendre à la personne affectée ce dont elle a tellement besoin : la reconnaissance en tant qu’être humain dans toute son unicité.

Professeur Giovanni Maio, professeur d’éthique en médecine à l’université de Fribourg-en-Brisgau
Giovanni Maio, M.A. (phil., né en 1964) a étudié la médecine et la philosophie aux universités de Fribourg, de Strasbourg et de Hagen. Après son doctorat en médecine à Fribourg, il s’est spécialisé dans la médecine interne. En 2000 suit son habilitation en éthique et en histoire de la médecine à l’université de Lübeck. En 2002, il a été nommé à la Commission centrale d’éthique pour la recherche sur les cellules souches. Depuis 2005, il détient une chaire de bioéthique et d’éthique médicale à l’université Albert Ludwig de Fribourg, où il dirige aussi le centre interdisciplinaire d’éthique.

 

Carelink, une source d’optimisme

Qu’est-ce que l’optimisme ? Comment l’alimenter et le conserver ? La conférence des volontaires, qui s’est tenue à Glattbrugg cette année, s’est tout particulièrement penchée sur ce sujet. La rencontre était à la fois inspirante et riche en savoir pratique.

Entrée en matière fulminante et surprenante ! À la conférence 2023 des volontaires, organisée à Glattbrugg le 17 juin dernier, Mark Riklin, philosophe et chercheur dans l’art d’être heureux, a d’emblée invité la centaine de participants à se positionner chez les rêveurs ou les réalistes. Puis, il a noté des déclarations spontanées sur des réussites, petites et grandes, de la vie quotidienne. C’était impressionnant de voir la liste s’allonger et étonnant de constater qu’il faut si peu pour vivre un moment joyeux ou heureux : un réveil serein, une fantaisie d’enfant, des relations enrichissantes et même un arrêt de bus végétalisé. Donc, les moments positifs sont à portée de main. « En se rappelant que le monde est meilleur que certains ne le croient, on diffuse de l’optimisme », explique Mark Riklin. Et de poursuivre : « La confiance nous donne le courage dont nous avons besoin, notamment pour affronter l’incertitude. »

Le professeur Giovanni Maio, quant à lui, nous apprend que la vulnérabilité humaine est à la fois notre problème et notre élément fédérateur. Selon lui, un évènement hors norme provoque une rupture capable de tout ébranler et, par conséquent, redoutée de beaucoup. Ces moments nous placent face à notre vulnérabilité. Dans le même temps, les relations humaines font émerger des passerelles qui procurent une certaine sécurité. En raison de cette vulnérabilité, nous devons prendre soin de nous, en d’autres termes, développer des réflexes protecteurs. « Apporter des réponses et faire naître l’espoir », affirme le philosophe et éthicien de la médecine allemand.

Parlant d’optimisme : le professeur émérite Theo Wehner nous a renvoyés à la sagesse d’Edward Aloysius Murphy : il postulait que tout ce qui est susceptible de mal se passer ira mal. Or, un échec implique aussi de mettre le doigt sur l’erreur. Et c’est une force dans la vie parce que l’être humain anticipe par essence. Capable de changer de perspective, il parvient à prévoir un comportement et à le changer.

Ce psychologue du travail et des organisations est d’avis que les membres d’un careteam devraient être en mesure de gérer l’insécurité, de réagir aux erreurs et aux déceptions. Pris sous cette forme, le volontariat est une ressource psychosociale, une source de sens pour l’individu et « au fond, le capital social d’une société. » Theo Wehner a souligné que c’est l’estime et la reconnaissance qui motivent les volontaires. Toutefois, ces moteurs s’essoufflent dès que le travail est perçu comme une obligation.

L’optimisme comme ombrelle thématique, le caractère volontaire du Careteam en tant que contribution à une société plus sociale, et dans tout cela, Carelink, une force motrice et une « source de sens » : la conférence 2023 des volontaires restera assurément gravée dans les mémoires.

Bon pour la santé : aborder les émotions sans juger

Les émotions mettent de la couleur dans nos vies, parfois par touches, parfois en nous submergeant. En acceptant toutes les émotions sans juger, nous favorisons un effet stabilisant et salutogène. Janine Köhli, psychologue d’urgence, explique comment ces enseignements sont mis à profit dans son domaine.

Dans notre perception habituelle, nos émotions sont soit positives soit négatives. Étymologiquement parlant, le terme vient du latin « ex movere », qui signifie « mettre en mouvement ». Si les émotions négatives comme la tristesse nous paraissent indésirables parce qu’elles entament notre énergie, d’autres comme la joie sont positives à nos yeux en raison de leur effet vivifiant.

Or, une telle distinction ne tient pas compte de la fonction psychique. En effet, les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Elles ont un sens et, partant, leur importance. Processus complexe, ces réactions mobilisent des forces qui nous permettent de tendre vers nos besoins. Elles constituent une essence fondamentale de la nature humaine et couvrent différents aspects. Elles provoquent non seulement un sentiment, mais aussi des processus biologiques et cognitifs. Sans oublier le comportement qu’elles déclenchent pour couvrir un besoin menacé. Prenons la peur : elle provoque une tachycardie, qui nous permet de remarquer un danger et de fuir pour nous mettre en sécurité. Ainsi, cette catégorisation des émotions en « agréable » et « désagréable » méconnaît leur vraie nature.

Des recherches montrent qu’une personne se porte mieux lorsqu’elle prête attention à ses émotions négatives et les considère comme normales plutôt que de les réprimer. Dans le même temps, nous élargissons notre perception et augmentons notre flexibilité cognitive lorsque nous cultivons des émotions plaisantes. Ces deux aspects renforcent notre résistance.

Toutes les émotions ont leur raison d’être de par leur ambivalence et contribuent sensiblement à notre santé mentale, un aspect avec lequel la psychologue d’urgence travaille. Les évènements potentiellement traumatisants peuvent violemment saisir et secouer les personnes sur le plan émotionnel. De telles émotions ne sont ni abordées ni approfondies activement en psychologie d’urgence, contrairement à la psychothérapie. En effet, un « travail » prématuré et forcé sur les émotions impacte la stabilisation et peut même aggraver la réaction de stress et empirer l’état de la personne affectée. Si cette dernière en parle spontanément, les intervenants se concentreront sur la stabilisation :

  • Reconnaissance : entendre et nommer les émotions (« J’entends que vous avez peur. »)
  • Acquiescement : normaliser et légitimer les émotions. Chacune a sa raison d’être, d’autant qu’elles signalent justement à la personne qu’elle se trouve dans une situation exceptionnelle. (« Vous pouvez bien réagir par la peur, car de telles situations font peur »).
  • Absence de pression : éviter les formules à l’emporte-pièce comme « c’est un mal pour un bien » ou un positivisme inadéquat comme « tout finira par s’arranger, vous verrez ». Les émotions de la personne sont légitimes.
  • Transmettre de l’optimisme : en favorisant la bienfaisante possibilité pour la personne de se décharger et de se sentir en sécurité, la personne affectée peut envisager de mieux en mieux les prochaines et possibles étapes.

Pour la psychologie d’urgence, le soutien émotionnel consiste à offrir un cadre sûr qui, agréable et soulageant, contrebalancera le pesant stress provoqué par l’évènement hors norme. Et, bien que l’on n’aborde pas de front les émotions ressenties pendant l’incident, les personnes affectées  les mentionnent souvent par la suite avec reconnaissance : d’avoir eu quelqu’un à leurs côtés pendant la situation d’urgence pour les écouter sans aprioris leur a « fait du bien ».

Auteure :
Janine Köhli est psychologue d’urgence chez Carelink, où elle dirige les formations Care&Peer Practice (CPP). Elle est psychothérapeute indépendante, spécialisée dans les techniques centrées sur les émotions.

Bibliographie :
David, S. (2020). L’agilité émotionnelle. Accueillir ses émotions & les transformer, aux éditions J’ai lu
Hausmann, C. (2021). Interventionen der Notfallpsychologie. Was man tun kann, wenn das Schlimmste passiert.

Psychologie d’urgence : soutien en Ukraine

Chaque semaine, 35 psychologues scolaires ont suivi en ligne, pendant trois à quatre heures, des exercices et des supervisions en psychologie d’urgence. Ces personnes se trouvent en Ukraine, parfois en pleine zone de conflit. Le projet, baptisé Helping to cope, ou encore Hope, vise à prévenir des séquelles lourdes et durables après un traumatisme.

Peu après l’invasion russe, des psychologues de la Haute école de psychologie de Berlin ont sollicité un soutien professionnel. La demande a été soumise au groupe spécialisé en psychologie d’urgence de la fédération allemande des psychologues. Aussitôt, Damaris Braun et Lena Deller-Wessels ont mis sur pied un projet en coopération avec l’AETAS, la fondation allemande pour les enfants confrontés à des situations de crise, et avec la Medical School de Hambourg. Ce pilote en faveur de l’Ukraine portait sur la psychologie d’urgence et des aspects thérapeutiques.

L’accent était non seulement placé sur les bases de la psychotraumatologie, mais également sur la mise en pratique, notamment sur les techniques de gestion du stress et la prise en charge. La difficulté était que la plupart des approches de psychologie d’urgence n’étaient pas conçues pour les conflits armés. « Nous devions nous interroger sur la meilleure adaptation possible des approches existantes aux besoins en l’Ukraine », explique Damaris Braun. Il fallait donc de l’expérience dans le travail avec les enfants en zones de conflit et une expertise dans le langage adapté aux enfants. Pour toutes les parties, l’interaction devait être empreinte de respect.

L’Ukraine possède un bon encadrement psychopédagogique, chaque école pouvant recourir à un psychologue scolaire. Ces spécialistes aident aussi le corps enseignant. Or, les huit millions de personnes déplacées sur le territoire et le risque de guerre qui couvait déjà depuis un certain temps pèsent lourdement sur les enseignants et les services de psychologie. En effet, des questions primordiales se posent, entre autres : comment organiser un cours lorsque la classe doit se rendre dans un abri antiaérien ; ou : comment gérer les angoisses des écoliers lors d’une alerte à la bombe ?

La série pilote a démarré dès juin 2022 et comptait 35 participants, la deuxième formation a commencé à l’automne 2022. La demande était considérable. Les collègues d’Ukraine ont fait forte impression sur Damaris Braun, « en particulier, par leur volonté d’apprendre et de s’investir dans une formation, en parallèle d’un quotidien difficile et pesant. » Un tel projet n’aurait pu se réaliser sans un engagement bénévole. Les exercices et les supervisions de psychologie d’urgence, plusieurs heures en ligne, sont prenants des deux côtés et nécessitent les services d’interprètes en ukrainien.

La psychologie d’urgence intervient généralement lorsque l’on peut assurer la sécurité physique, ce qui n’est pas possible dans une région en guerre. « L’expérience acquise dans d’autres régions en crise montre que, dans de telles circonstances, les mères ne peuvent plus jouer avec leurs enfants et que l’interaction entre les parents et eux est altérée. », déclare Damaris Braun. Par conséquent, il est essentiel de savoir procurer un sentiment d’attachement et de stabilité aux enfants et aux adolescents. L’école assume un rôle important, à commencer par les informations qu’elle transmet sur ce qui est normal dans une situation hors norme et sur les principes que le corps enseignant peut appliquer pour instaurer un climat de sécurité.

Damaris Braun est particulièrement touchée par la gratitude qu’expriment les participants. Elle constate que le projet renforce les ressources rien que par son existence et parce qu’il permet l’échange et la reconnaissance de la situation. Par-delà les formations et les cours de perfectionnement, le projet cherche à atteindre le plus d’enseignants possible. Lors d’une conférence organisée pendant la dernière semaine de mars, plus de 300 spécialistes d’Ukraine ont participé en ligne.

Pour l’heure, les fonds nécessaires pour poursuivre ce projet, soutenu jusque-là par la Société allemande pour la coopération internationale (GIZ) et la fondation AETAS, ne sont pas encore réunis. Toutes les parties prenantes espèrent que le financement de la prochaine série de formations, qui devrait commencer à l’automne 2023, pourra être assuré car, comme le constate Damaris Braun, « le besoin est énorme. »

Vous trouverez ici de plus amples informations sur le projet et ses responsables en Ukraine et en Allemagne.

Comment procède un careteam en cas d’urgence ?

Se mobiliser rapidement, c’est une chose ; faire comprendre rapidement la situation à une personne affectée est une autre paire de manches. Regula Lanz, psychologue d’urgence et responsable des formations chez Carelink, a entrepris d’expliquer les interventions des careteams pour Penso, la revue alémanique pour les spécialistes en RH, assurances sociales et prévoyance professionnelle. Voici la synthèse.

Lorsque les médias couvrent un accident grave, ils précisent souvent qu’un careteam a été mobilisé. Mais que fait une telle équipe sur place, lorsqu’elle est confrontée à un évènement hors norme ?

La réactivité pèse autant qu’une organisation professionnelle. Ce constat amène de grandes entreprises comme les CFF ou des compagnies aériennes à former du personnel capable de fournir une assistance en cas d’urgence. Mais la plupart des entreprises recourent à des organisations professionnelles comme Carelink. L’assistance psychosociale fait partie d’un plan d’urgence et de gestion de crise plus large.

Regula Lanz explique que parmi les situations d’urgence pouvant survenir en entreprise figurent les accidents, les braquages et les suicides. Ces évènements ébranlent les personnes affectées autant que les carambolages, les attentats terroristes ou les accidents d’avion, souvent relayés à grand bruit par les médias.

La mission du careteam, quelle que soit l’ampleur de l’incident, reste fondamentalement la même : une analyse sur place afin de pouvoir conseiller le client et coordonner les prestations d’assistance avec lui. Le but premier est de soulager les personnes affectées et de restaurer leur auto-efficacité. Souvent, les réactions d’individus soumis à un stress extrême sont complètement imprévisibles et constituent un réel défi.

« Nous les aidons à retrouver une structure, un sentiment de sécurité et leur calme », explique Regula Lanz. Il faut donc leur fournir une espèce de fil conducteur à travers cette situation hors norme, c’est-à-dire les moyens de comprendre ce qui est arrivé. Un entretien sur l’incident et les procédures prévues peut réduire leur agitation et leur permettre peu à peu de surmonter leur vécu. « Parler de ce qui est survenu peut calmer les personnes affectées », explique Regula Lanz. Le careteam entreprend toujours ce qu’il faut pour qu’elles soient à même de prendre des décisions autonomes.

L’enjeu est de leur éviter, à terme, des troubles de stress post-traumatique, des angoisses, des comportements addictifs ou des dépressions. Dans cette perspective, chaque assistance psychologique d’urgence fait l’objet d’un rappel de suivi (call back). Si la personne affectée se plaint de problèmes persistants comme des troubles du sommeil, un accompagnement thérapeutique s’impose. Toutefois, ce dernier n’entre plus dans le cadre de la psychologie d’urgence, mais Carelink propose volontiers des contacts correspondants.

Vous trouverez l’article complet et des recommandations pratiques sur l’intervention des careteams dans l’édition 02/2023 et ici.

Soutien psychosocial pour faciliter la réintégration après une lourde épreuve ? Eric Sigrist connaît les deux domaines.

Eric Sigrist pense que la confiance est le fondement d’un bon entretien et que « souvent, il ne faut pas grand-chose ». Pour ses missions de caregiver, il peut mettre à profit sa profession de spécialiste en réintégration. Inversement, l’expérience acquise dans l’encadrement de personnes traumatisées enrichit son travail quotidien.

Pourquoi un spécialiste de la réintégration comme toi s’engage-t-il comme caregiver ?

Je travaille dans l’intégration professionnelle depuis 25 ans. Dans ce contexte, je rencontre souvent des personnes secouées par le destin et qui ont du mal à surmonter l’épreuve. En tant que caregiver, mon objectif est de soulager les personnes affectées directement après l’évènement.

Qu’est-ce qui distingue ton travail quotidien de tes interventions comme caregiver ?

La situation est différente et, par conséquent, demande une autre démarche. En tant que caregiver, je me retrouve de plain-pied dans un drame tandis que le processus de réintégration survient un certain temps après un évènement potentiellement traumatisant.

Quels sont les défis particuliers ?

En tant que caregiver, je dois très vite établir une solide relation de confiance où les personnes affectées se sentent prises au sérieux et s’ouvrent au dialogue. La confiance est indispensable pour motiver quelqu’un à parler de son vécu et pour aboutir à un bon dialogue.

Ton expérience en réintégration est-elle utile dans ces cas ?

Oui, car dans ce processus, je suis parfois confronté à des personnes qui souffrent encore. Elles ne se sentent pas bien, leur santé psychique est atteinte même si l’évènement éprouvant remonte déjà à un certain temps. Il est alors essentiel de développer leur auto-efficacité et leur assurance.

Y a-t-il une lacune entre l’intervention du caregiver et la réinsertion ?

La réaction d’un individu à une situation éprouvante dépend de sa résilience. Son entourage est important, mais le soutien par les psychiatres, les psychologues et les employeurs l’est aussi. Beaucoup ignorent que l’AI propose des mesures de réintégration professionnelle. Malheureusement, certains employeurs optent pour un licenciement parce qu’ils préfèrent avoir des employés pleinement performants.

Quel défi représente la réintégration en cas d’affection psychique ?

Contrairement à une atteinte physique, une affection psychique n’est pas visible de prime abord. Ce fait rend l’intégration d’une personne plus difficile pour les employeurs. Partant, la manière dont la personne concernée gère sa propre situation de santé pèsera également.

Faudrait-il davantage de compréhension pour les défis de l’intégration professionnelle ?

Avec les employeurs, je discute de la situation à laquelle ils doivent s’attendre et des possibles défis à gérer. Les aspects essentiels tournent autour de ce qui peut être mis en place ou non au travail.

Qu’est-ce qui te permet d’intervenir en tant que caregiver ?

L’enjeu est de redonner un sentiment de sécurité et des repères aux gens tout en abordant les perspectives d’avenir avec confiance. On me dit souvent que je respire le calme. Or, en tant que caregiver, il faut pouvoir transmettre de la sérénité ou, du moins, essayer d’en générer. De plus, il faut être complètement ouvert. Le travail des caregivers est très axé sur les ressources et la réhabilitation. Là, il est utile de pouvoir créer un lien de confiance très rapidement.

Tu as écrit un livre sur l’instauration de la confiance. Comment y parvient-on ?

Lors de l’encadrement et des conseils, je m’attache à aborder les gens dans un esprit ouvert. Je souhaite qu’ils sentent que je cherche le dialogue sans idées préconçues. Ainsi, un espace de sécurité se crée dans lequel les émotions et les sentiments de honte peuvent s’exprimer. La confiance naît d’une mosaïque de petites choses.

Et pour finir : que t’apporte la tâche de caregiver ?

Je ne me demande pas ce qu’elle m’apporte, mais où je peux offrir un soutien et un soulagement dans une situation difficile. Lors de ma première intervention, j’ai discuté avec deux hommes. Au terme des entretiens d’une demi-heure avec chacun, empreints d’intérêt sincère, d’écoute active et d’empathie, ils m’ont dit que la possibilité « d’en parler » avait été un soulagement et leur avait fait du bien. Ce constat a été une révélation pour moi : parfois, il ne faut pas grand-chose.

 

Depuis 25 ans, Eric Sigrist travaille dans l’intégration professionnelle, actuellement auprès de l’assurance-invalidité. Il est à la fois conseiller d’orientation et de carrière et spécialiste de la réinsertion. Auteur, il s’est penché sur l’instauration de la confiance et la gestion relationnelle dans le conseil psychosocial. En 2018, il a rejoint l’équipe des caregivers de Carelink et, depuis l’été 2022, il intervient comme teamleader.

Comment prendre soin de soi ? Andi Zemp donne des pistes.

Les personnes qui exercent une fonction dirigeante doivent aussi se gérer. Elles le font en restant fidèles à elles-mêmes et en veillant à une vie équilibrée. Mais comment ? Andi Zemp* partage quelques réflexions aussi simples que logiques.

Passez-moi une question banale, M. Zemp, mais existe-t-il une recette qui permette aux cadres dirigeants de prendre soin d’eux et de veiller à leur bien-être ?

Andi Zemp : Indépendamment de la position hiérarchique, chaque personne devrait apprendre à veiller à son bien-être psychique. Il faut, entre autres, un moyen de compenser le travail et, à en croire mon expérience, il s’agit davantage d’un équilibre entre tension et détente que de la conciliation des vies privée et professionnelle. Qui sait lâcher prise pendant son temps libre supporte mieux le stress au travail. A contrario, le travail devrait rétablir un certain équilibre lorsque la situation privée est affectée, par exemple par des tensions au sein du couple ou un besoin intense de soins ((de santé)) pour un membre de la famille.

Les cadres peuvent-ils vraiment être détendus au travail ?

Andi Zemp : Soyons réalistes : beaucoup de cadres ont des phases de travail moins intenses où ils ont bel et bien la possibilité de souffler. Dans tous les cas, ils sont mieux à même de réguler leur charge de travail et de déléguer des tâches. Chez les collaborateurs, ce n’est pas possible ou du moins pas dans la même mesure.

Et si ces responsables sont à leur tour soumis à une hiérarchie ? C’est souvent le cas à l’échelon des cadres moyens.

Andi Zemp : Il faut avouer que ces positions en sandwich sont les plus difficiles, car elles sont soumises aux exigences des deux côtés de la hiérarchie, sans compter les attentes parfois excessives des cadres envers eux-mêmes.

Et comment gérer une telle pression ?

Andi Zemp : En principe, les personnes qui gèrent le mieux la pression, les exigences, les attentes et le stress sont celles qui connaissent leurs besoins et leur accordent une place. Concrètement, il faut distinguer la personne et la fonction : en tant qu’individu, j’ai besoin d’espace et j’accomplis mon travail à ma façon. Je suis une personne unique et, contrairement à ce que l’on raconte, irremplaçable. En revanche, quelqu’un d’autre peut tout à fait remplir ma fonction.

Mais il faut une saine assurance pour arborer une telle attitude.

Andi Zemp : Oui, la confiance est bien utile. Si l’on ne possède pas cette qualité, on peut tout à fait la développer.

Beaucoup de personnes tirent leur assurance de leur seul travail. L’activité professionnelle ne doit pas être l’unique source de valorisation, car, fondamentalement, l’estime de soi n’est pas liée à la performance. Prenons un simple exemple de la vie privée : lorsqu’on n’aime pas une personne, ce n’est pas parce qu’elle cuisine merveilleusement, mais à cause de sa personnalité. À la naissance, nous sommes tous des originaux, des êtres uniques. Chez certaines personnes, j’ai l’impression que, consciemment ou non, elles mettent beaucoup en œuvre pour finir en copie conforme. Or, nous devrions rester centrés en nous-mêmes, rester des originaux. C’est à la fois une attente((incitation ?)) et un défi.

Et si quelqu’un n’y parvient pas seul ?

Andi Zemp : Pour ces cas, il existe des offres d’aide sans qu’il faille nécessairement passer par un psychothérapeute ou une psychologue. Je connais par exemple un cadre qui fait de la thérapie corporelle tous les 15 jours. Les séances lui permettent de remarquer rapidement s’il est en phase avec lui-même et s’il est capable de lâcher prise. Le stress passe des œillères à l’individu et le prive de toute possibilité de se relâcher. En revanche, lorsque la personne se fait plaisir, qu’elle prend soin d’elle et qu’elle se change les idées, elle permet à ses sens de s’épanouir.

Beaucoup font du jogging !

Andi Zemp : L’activité physique est toujours une bonne chose. Cependant, le jogging peut vite se transformer en compétition lorsqu’on court contre la montre. Or, quand on évolue déjà dans un système empreint de compétition et de stress, ce n’est pas bénéfique. L’erreur est assez commune. Le corps ne distingue pas entre le stress positif et sa version négative. Il se met à produire les hormones du stress. Et, contrairement à une erreur communément répandue, le stress positif peut aussi affecter le psychisme.

En conclusion, le premier grand pas pour prendre soin de soi est de s’écouter et de s’apprécier.

*Andi Zemp : Absolument ! Les enquêtes auprès du personnel montrent que, souvent, beaucoup se plaignent d’un manque d’estime. Et les responsables hiérarchiques comprennent rarement ce retour. Tous deux, responsable et collaborateur, doivent apprendre à faire la part des choses : le l’estime se dirige vers la personne tandis que les louanges concernent le travail. Dans un cas extrême, je peux louer une personne sans l’apprécier pour autant. L’estime commence chez soi-même.

Andi Zemp est psychologue, psychologue d’urgence et psychothérapeute FSP reconnu au niveau fédéral. Il a son propre cabinet de psychothérapie à Berne et travaille comme psychologue-conseil pour différentes entreprises et organisations. En 2005, il a rejoint l’équipe des bénévoles de Carelink. De plus, il enseigne la psychologie d’urgence pour « Care & Peer Practice » (CPP), une formation que Carelink organise et coordonne pour le Service sanitaire coordonné (SSC).

Ukraine : offres de soutien en Suisse.

Le Service ambulatoire pour victimes de la torture et de la guerre, géré par la Croix-Rouge suisse (CRS) à Wabern, près de Berne, estime qu’il traitera aussi des personnes venues d’Ukraine. Dans l’interview, Silvan Holzer, qui dirige le service pour les troubles post-traumatiques de l’enfance et de l’adolescence, fournit aussi des conseils comportementaux aux familles d’accueil.

Monsieur Holzer, vous pensez que des réfugiés d’Ukraine viendront chercher de l’aide auprès de vous.

Silvan Holzer : Oui, nous devons malheureusement partir du principe que ces ressortissants, quel que soit leur âge, ont été confrontés à des situations dépassant les stratégies d’adaptation individuelles et familiales. Il faut s’attendre à ce que ces personnes développent des troubles post-traumatiques.

 

Les défis sont-ils les mêmes que pour les autres victimes de guerre ?

Silvan Holzer : Notre soutien dépendra de ce que les personnes que nous conseillerons ont vécu à titre individuel et comment elles y réagissent. Toutefois, nous ne pouvons anticiper l’effet du statut de protection S, appliqué pour la première fois. Nous escomptons que pour les personnes l’ayant obtenu, il atténuera le stress après la fuite ; mais qu’en sera-t-il de celles qui n’en bénéficient pas ?

 

En Suisse, nous rencontrerons aussi des personnes venant d’Ukraine. Existe-t-il des conseils pour aborder ces réfugiés traumatisés ?

Silvan Holzer : Il n’existe pas « le réfugié d’Ukraine » et encore moins de recette miracle pour les relations avec les « réfugiés ». Chaque enfant, chaque adulte, chaque famille est unique et connaît des besoins différents. Mais ils partagent un besoin : d’avoir des interlocuteurs valorisants et émotionnellement stables et de trouver la sécurité et des structures claires. Une telle rencontre demande du temps, de la patience et de la compréhension. Pas de traitement spécial, ni de pitié, mais de l’empathie et de la compassion.

Montrer de l’intérêt pour l’enfant et pour sa vie ; acceptez qu’il s’exprime comme il le sent et que, soudain, il puisse vouloir jouer. Ne cherchez pas à creuser les sujets abordés. Agissez en témoin et positionnez-vous clairement contre toute forme de violence. Si vous vous sentez sûrs de vous et compétents – sinon renoncez-y – vous pouvez demander ce qui l’a aidé à survivre au sens large du terme.

Le rétablissement rapide d’une normalité routinière, qui implique aussi une structure scolaire, est essentiel pour les enfants. Cette dernière devrait apporter de la normalité sans trop de marge de décision, car elle pourrait les submerger même si l’intention est bonne. L’école peut rapidement devenir un endroit sûr, où tous les enfants ont les mêmes droits et les mêmes obligations et où règne une culture de tolérance zéro face à la discrimination et la violence.

Nous devons être conscients que les personnes venues d’Ukraine ne pourront pas laisser à la frontière suisse leurs préoccupations, craintes et sentiments d’impuissance. Elles continueront de s’inquiéter pour la famille, les proches et les amis qui leur sont chers et qui sont restés au pays. Elles voudront s’informer par les médias. Or, la guerre risque d’être omniprésente. Dans toute la mesure du possible, il sera utile de prévoir des laps de temps sans accès aux médias. Protégez les enfants des images montrant la guerre sans pour autant éluder le sujet. Il est recommandé de tenir compte du développement de l’enfant lorsque l’on aborde ce point et de répondre à ses questions de manière brève et claire. Il est également utile que les parents, notamment les mères, parviennent à expliquer des sentiments forts, par exemple l’affliction d’un deuil, comme étant des réactions normales qui s’atténueront. Les enfants savent ainsi que leur curiosité a sa place, qu’ils ne doivent pas s’inquiéter pour leurs parents ni avoir peur de les perdre, mais qu’ils pourront compter sur eux.

 

Informations utiles:
Brochures
– Apprendre, comprendre, agir de façon réfléchie, brochure d’information destinée aux collaborateurs rémunérés et bénévoles intervenant auprès de réfugiés traumatisés Croix-Rouge suisse (https://www.migesplus.ch/fr/publications/apprendre-comprendre-agir)